Arto Paasilinna a écrit un livre entier sur le suicide, avec une collection invraisemblable de désespérés - alcooliques, malades incurables, femme battue, amoureux éconduits, affairistes ruinés, militaire sur le carreau, etc. - et une tentative à toutes les pages - par arme à feu, par pendaison, par asphixie, par intoxication, par chute dans un précipice, par noyade, etc. Pourtant, l’hilarant Petits Suicides entre Amis est le meilleur remède qui soit contre le désespoir.

ARTO PAASILINNA - Petits Suicides entre Amis

WSOY / Denoël :: 1990 / 2003 :: acheter ce livre
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

C’est le début de l’été en Finlande, et l’homme d’affaire Onni Rellonen n’a pas le moral. Il vient de faire faillite pour la quatrième fois et son mariage va à vau-l’eau. Avec détermination, il prend son pistolet, sort de chez lui et part mettre fin à ses jours. Mais voilà que dans la grange où il comptait commettre son geste funeste, il tombe sur un autre homme qui tente de se pendre. Une telle coïncidence, forcément, ça crée des liens. Les deux suicidaires sympathisent rapidement et reportent leur terrible projet. Pas mécontents de cette expérience, ils décident de l’étendre à d’autres désespérés et organisent un symposium sur le suicide.

Ce symposium sera le point de départ d’une escapade en car à travers l’Europe. D’Helsinki au Cap Nord, puis jusqu’au Portugal, en passant par la Suisse, une trentaine de suicidaires chercheront l’endroit le plus approprié où commettre en commun l’acte fatal. Colonel sur le carreau, malades incurables, femme battue, marin raté alcoolique, éleveur de rennes escroc, homme de cirque malheureux, affairistes ruinés, amoureux malchanceux, toute une colonie bigarrée de cinglés et de bras cassés vont mettre sans dessus dessous les pays traversés le long d’un road-movie inédit et burlesque.

Les scènes d’anthologie ne manquent pas dans Petits Suicides entre Amis. Ici, une escouade de suicidaires éméchés affronte des skin-heads dans un cimetière, avant de s’intoxiquer au monoxyde de carbone dans le garage d’un diplomate yéménite. Plus tard, c’est à coup de rondins qu’ils s’engagent dans une bataille rangée contre des hooligans allemands, avec la rage des désespérés et le mépris de la mort. En Suisse, les mêmes négocient auprès des drogués habitués des lieux une place sur la fameuse Platzpromenade de Zurich. Les désespérés ont pris leur décision, ils vont mourir, alors tout est permis, il n’y a plus ni ridicule ni tabou : "La vie, à date d’aujourd’hui, était comme gratuite, reçue en cadeau, surnuméraire. On pouvait l’utiliser à sa fantaisie. Bonne idée" (p. 26).

Pour l’auteur, c’est du pain bénit. Dans ce livre traduit récemment en Français et tout juste sorti en poche, il joue sans cesse du contraste entre l’état d’esprit mortifère des personnages, leur statut supposé de désespérés et les situations cocasses qu’engendrent tous ces gens qui n’ont plus rien à perdre. Le suicide, ça n’est pas bien sérieux, nous dit Paasilinna. Ou bien, pour le paraphraser tout à fait : "si le plus grave dans la vie c’était bien la mort, ce n’était quand même pas si grave" (p. 274). La volonté de suicide est un état d’esprit, et l’auteur le tourne continûment en dérision, par exemple dans l’excellent chapitre 20 (pp 168-174) où les candidats à la mort font une liste à la Prévert de tout ce qui ne va pas dans ce bas monde, des pluies acides au jogging à outrance qui tue les gens d’épuisement en passant par le prix de l’immobilier et par les malotrus qui pincent les fesses des femmes.

Sans casser d’emblée le suspense qui tient le roman d’un bout à l’autre (bon sang, vont-ils finir par se tuer un jour ces fichus suicidaires ?), on dire un mot sur comment vont tourner tous ces gens. Evadés par autocar de leur Finlande natale, berceau de tous leurs problèmes, affranchis de leur situation, extirpés du concours de circonstances qui les a amenés à envisager le pire, les désespérés se découvrent une nouvelle existence, une seconde vie avant la mort. Ils réalisent qu’en fait, peut-être, finalement, tout ceci n’est pas si grave. Et que "mieux valait ne pas agir à la légère en matière d’autodestruction, une affaire aussi vitale exigeait que l’on prenne sont temps" (p. 59). Quant au lecteur qui n’avait pas forcément à guérir de penchants suicidaires, il s’est au moins payé une bonne tranche de rigolade.