L’action commence à Roissy. Vladimir Sergius, linguiste anglais, s’apprête à prendre un vol pour l’Inde. Mais rien ne se passe comme prévu. A son arrivée l’aéroport est désert. Le personnel d’accueil se limite à une hôtesse. Dans l’appareil, aucun passager n’occupe la classe économique et les sièges de la classe affaire sont disposés de manière inhabituelle, en cercle. Aucune des annonces ordinaires ne précède le décollage. Et au bout du compte, il s’avère qu’il n’y aucun pilote dans l'avion, lequel est dirigé par une force mystérieuse, que les 16 passagers du vol pour Madrapour vont bientôt appeler "le Sol".

ROBERT MERLE - Madrapour

Le Seuil :: 1976 :: acheter ce livre

Madrapour est usuellement rangé parmi les livres science-fiction de Robert Merle. Mais ici, pas d’anticipation, pas de considération scientifique, aucune tentative d’explication des événements singuliers qui surviennent. Ce roman est d’une autre nature : c’est une parabole, une métaphore de la vie. Merle ne laisse d’ailleurs pas le moindre doute sur la signification de son histoire. Les passagers y meurent à tour de rôle, il est incessamment question d’une "roue du temps" qui nous enchaîne et qui nous fait souffrir, un Samsara dont chacun doit un jour s’arracher, une illusion à laquelle s’accrochent tout ceux qui ont acquis un statut dans cette existence. C’est une interprétation hindouiste ou bouddhiste de la vie, corroborée par la présence d’un couple de terroriste indien dont l’homme, tout menaçant qu’il soit, fera bientôt office de prophète.

Pour Robert Merle, ce roman est aussi l’occasion d’examiner les rapports qui se créent entre les occupants de l’avion. Dans son livre Malevil, un cataclysme nucléaire permettait à Robert Merle de donner naissance à ce genre de microsociété. Dans Madrapour, c’est le long huis clos de l’avion qui va permettre l’enclenchement d’une dynamique du groupe expérimentable, observable, avec ses leaders, ses alliances, ses marginaux, ses bannis, dont l’identité et la nature changeront avec le déroulement des événements.

Cependant, pour illustrer sa grande parabole sur le cours de la vie, Robert Merle a choisi des personnages très marqués. En plus des tiers-mondistes indiens, se pressent dans l’appareil un diplomate français fier des ses certitudes, un flic américain qui recherchera continûment à avoir l’ascendant sur le groupe, un trafiquant de drogue grec, un homosexuel allemand aux vêtements chamarrés, un play-boy italien, une mère maquerelle vulgaire, une veuve hautaine, séductrice et manipulatrice, une vieille commère revêche, et d’autres, tout aussi pittoresques. Cet avion pour Madrapour, c’est le Vol 714 pour Sidney, ce sont les personnages des ultimes albums de Tintin, c’est toute une ménagerie de personnages très fortement estampillée années 70.

Mais après tout, les textes sacrés et paraboles religieuses ne portent-ils pas, eux aussi, la marque de leurs époques ? Siddharta se balade dans une Inde vieille de 2500 ans. Jésus Christ fait ses courses en talents et croise à tout bout de champ des Romains, Samaritains et Pharisien, tous caractéristiques du Premier Siècle de notre ère. Et je ne parle pas de ce nomade bouseux de Mahomet. Cette couleur locale ne porte pourtant pas atteinte au message délivré. L’étalage de personnalités typiques de son époque a aussi une vertu : en mettant en scène leurs confrontations, connivences, amours et jalousies, l’auteur ne démontre que mieux la fatuité de l’existence, l’insignifiance des petites ambitions et des contrariétés de ce huis clos géant qu’est la vie.