Editions Denoël :: 1957 / 1990 :: acheter ce livre

Stefan Wul, de son vrai nom Pierre Pairault, chirurgien-dentiste à la ville, a été le météore de la science-fiction française, concentrant l’essentiel de sa production, onze romans, sur trois années de sa vie, à la fin des 50's. Contant les aventures d’un enfant noir sur une Terre post-apocalyptique, où les rares survivants sont revenus à l’époque des chasseurs-cueilleurs, où les océans sont asséchés et où des poulpes mutants sont en voie de devenir la nouvelle espèce dominante, Niourk est la plus connue des œuvres de l’écrivain.

Et c’est vrai qu’il était bien, ce livre. Pas nécessairement pour les nouveaux développements que l’auteur apportait à la science-fiction. Les thèmes traités dans Niourk, ces histoires de Terre détruite par la folie des hommes, de civilisation oubliée, de technologie déshumanisante, de monstres ayant muté sous l’effet de substances radioactives, d’enfant surdoué, de voyages intersidéraux, sont assez conformistes, et bien sûr sans grande valeur scientifique. Ils sont limite cliché, triviaux, balisés.

Ce n’est pas non plus l’intrigue qui retient l’attention. Même si Wul sait parfaitement mettre en scène les tribulations de personnages distincts, leurs péripéties parallèles, pour mieux les faire converger ensuite, le déroulement de l’histoire est relativement linéaire. Son dénouement, surtout, est frustrant, trop rapide, trop délirant, comparé à son entame très précise, très construite. Il sent à plein nez l’improvisation et la précipitation.

Le message ne brille pas non plus par sa singularité. Opposant deux modèles d’évolution humaine, Wul se résume à lancer une banale mise en garde, vaguement écologiste et un brin réactionnaire, envers une humanité rendue ivre par sa technologie, aveuglée par son désir de puissance, et qui souhaiterait s’affranchir trop vite de ses racines animales. Une humanité qui, réalisant que Dieu n’existe pas, se serait par malentendu confondue avec lui. Une humanité qui aurait oublié que "la seule vie qui vaille la peine d'être vécue" (p. 235), c’est une existence sauvage et incertaine au milieu d’une nature difficile.

C’est en fait et surtout par le style que Wul se distingue. L’écrivain s’était d’ailleurs mis à la science-fiction parce qu’il en trouvait les romans souvent bâclés et mal écrits. Et de fait, dans un genre où le bavardage est fréquent, où le style est souvent grossier ou, à l’inverse, trop ampoulé, il sait faire preuve d’une sobriété éloquente. Court, composé d’une suite de chapitre très concis, ce Niourk qui se donne parfois des airs de conte moral est sans temps mort ni remplissage. Il est écrit dans un style fluide, racé, la plume est élégante, Wul ne donne jamais dans la complaisance, l’artifice et l’exercice littéraire superflu.

Surtout, et la qualité de son style y est pour beaucoup, l’auteur excelle à mettre en scène ses idées et son univers. Tant pis si l’intrigue et sa conclusion, in fine, sont un peu décevantes, les détails de son monde, eux, sont loin de l’être. Le principe général, celui d’une planète dévastée par les hommes, n’est pas original, mais sa déclinaison l’est.

La description de ces gens revenus aux temps primitifs, de cette tribu superstitieuse partagée entre les plaisirs d’une chasse fructueuse et la crainte de devenir gibier à son tour ; le monologue intérieur, la vue subjective, toujours fine, de chaque protagoniste, Alf l’enfant noir, Thôz le grand chasseur, les vénusiens échoués sur Terre, ce vieillard considéré comme le sage du clan ; cette nouvelle géographie, cette nouvelle faune, cette nouvelle flore que Wul dessine dans le Golfe du Mexique ; la logique interne de ce monde différent où un homme redevenu sauvage tente de survivre sous la menace de monstres retors : chaque détail concourt à instaurer une ambiance inoubliable, à peindre un paysage prenant. Ce sont les principaux arguments en faveur d’un roman qui, au bout du compte, ayant concentré ses efforts sur les mots plutôt que sur les thèmes, a admirablement vieilli.