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Michel Pastoureau, donc, se répète. Et parfois, comme s'il l'avait écrit trop vite, mécaniquement et sans passion, il le fait au sein du même livre, comme on peut l'observer dans Bleu. Par exemple, alors qu'il semble y suivre un déroulé chronologique, il nous ramène soudain, dans la partie sur les périodes moderne et contemporaine, à l'époque des Anciens, pour ressasser ce qu'il avait déjà dit quelques chapitres plus tôt. Parfois, c'est même d'un paragraphe à l'autre que l'historien bégaye, comme quand il rappelle par deux fois, à quelques lignes d'intervalle, que les fameux pantalons garance des soldats français leur auraient coûté de nombreuses vies en 1914 (pp. 140-141).

S'il est un livre qui s'imposait, pourtant, c'était bien celui-ci. Car le bleu, aujourd'hui, est la couleur majeure du monde occidental. Elle est la plus valorisée, celle que les gens préfèrent et qu'ils portent le plus, de loin, tous sexes et toutes classes sociales confondus. Et pourtant, il n'en a pas toujours été ainsi. Au temps des Romains, ce qui comptait, symboliquement parlant, c'était le trio noir-blanc-rouge. Le bleu, à l'origine, était une couleur mineure, ignorée, voire méprisée. Les yeux de cette couleur, par exemple, n'inspiraient que défiance. Parfois même, c'est à peine si le bleu était perçu en tant que tel. Les Anciens, nous signale Pastoureau, ne trouvaient pas le ciel spécialement bleu. Et cette marginalité perdura, plus ou moins, jusqu'à la fin du Moyen-âge.

Bleu, donc, c'est l'histoire d'un succès, celle d'une irrésistible ascension, au fil des siècles. C'est le conte du vilain petit canard, appliqué aux couleurs. Ce qui n'était qu'une teinte ignorée a triomphé. Couleur mariale, couleur royale, couleur de la république, couleur romantique, couleur des sentiments, couleur des jeans, couleur de l'Europe, couleur de la paix : tout ce qui importe ou presque est représenté par elle, à tel point qu'elle est aujourd'hui la marque du conformisme et du conservatisme. Le bleu va de soi, si l'on ignore tout de cette longue sortie de l'anonymat, que nous raconte Michel Pastoureau.

Par ce récit, l'historien nous rappelle aussi, avec plus de détails que jamais, quel est le moteur de ces évolutions. La valeur symbolique conférée aux couleurs est, en fait, le fruit d'un dialogue constant entre les idées d'un côté, et de l'autre la capacité technique qu'ont les teinturiers à les capturer, en fonction de l'état de leur savoir, de leurs sources d'approvisionnement et des moyens de leurs clients. C'est, en grande partie, l'exploitation plus ou moins aisé de la guède (ou pastel) et de l'indigotier, ou l'irruption du Bleu de Prusse, qui déterminent l'engouement plus ou moins fort de cette couleur dans la société.

Nous observerons donc, à l'avenir, à notre ère chimique, si cela se poursuivra. Regardons par exemple, aujourd'hui que s'engage un débat sur le coût écologique de la synthèse de l'indigo (cette substance obtenue de nos jours chimiquement et qui donne sa couleur à nos blue jeans), si la signification du bleu et le goût prononcé pour lui en seront affectés, et si, dans ce temps long qui est celui des couleurs, il faudra ajouter un chapitre à ce Pastoureau.