Avec ces Flammes de la Nuit à mi-chemin du conte de fée et de la tragédie shakespearienne, Michel Pagel propose une version originale et personnelle du roman de fantasy. Mais il n’évite pas l’un des principaux écueils du genre : le bavardage, le manque de concision, la difficulté à canaliser un indéniable talent de conteur.

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La vie au Royaume de Fuinör repose sur des lois absurdes et intangibles. Depuis toujours, la société y est séparée entre des serfs misérables et des nobles jaloux de leurs privilèges. Virils et guerriers, les hommes président à sa destinée. Jolies mais sottes, les femmes n’y ont aucun pouvoir. Les batailles ne peuvent s’y pratiquer que dans la Contrée de la Guerre, l’union charnelle dans celle de l’Amour, les cultures dans celle des Semailles, etc. Et à chaque génération, la reine meurt en donnant naissance à un héritier. Jusqu’à ce que soit enfantée la princesse Rowena, fille de Turgoth III, qu’un mystérieux enchanteur dote du don d’intelligence et transforme en sorcière, afin que plus jamais Fuinör ne soit gouvernée par ses coutumes invraisemblables et par ses dieux tyranniques.

La fantasy compte de nombreuses racines, maintes influences. Mais deux d’entre elles alimentent plus particulièrement ce roman : Shakespeare et les contes de fées. Au premier, outre les citations en vieil anglais qui ouvrent chaque chapitre, il emprunte le goût de la tragédie et des intrigues de palais. Des seconds, il reprend tous les poncifs, mais pour mieux le détourner. Car avec Michel Pagel, le conte de fées se transforme en cauchemar : au début de l’histoire, sept fées se penchent sur le berceau Rowena, mais le rôle de ces êtres cyniques est de s’assurer que la princesse ne sera qu’une poupée idiote ; le roi irréprochable, le chevalier sans peur et sans reproche, le jeune héros prometteur, tous les personnages idéal-typiques des histoires pour enfants se retrouvent dans celle-ci, mais ils sont tellement caricaturaux et creux qu’ils en deviennent repoussants ; des quêtes existent, par exemple celle, fantasmagorique, que mène la héroïne dans la Contrée de la Folie, mais leurs dénouements n’est pas toujours conforme à la morale traditionnelle.

Car, comme le montre la fin du roman de la façon la plus manifeste, Pagel a voulu confronter deux univers. Celui aseptisé mais cruel né de l’imagination des enfants, ces êtres assoiffés de règles et de lois, ces fascistes en short, ces fanatiques (par exemple le jeune Will qui laisse son père mourir dans les dernières pages du livre), et celui plus complexe, plus flou et plus chaotique des adultes. A mesure que l’histoire avance, les personnages stéréotypés laissent la place à d’autres plus attachants et plus nuancés, l’intrigue se complique, les mystères de l’amour et du sexe se dissipent. Le fantastique perdure, il atteint même son paroxysme dans les dernières pages, mais le conte de fées s’efface au profit de drames plus shakespeariens. C’est bien, c’est intelligent et c’est extrêmement imaginatif. Pourtant, quelque chose cloche dans Les Flammes de la Nuit.

A l’origine, semble-t-il, la rédaction des Flammes de la Nuit s’est étalée sur plusieurs années, et la consistance du roman s’en ressent. Emporté dans son élan, par son besoin irrépressible de raconter des histoires, Pagel livre un roman trop long et sans élan, sans structure. Le mélange entre la simplicité narrative du conte de fées et des développements qui tiennent davantage du roman réaliste semble s’effectuer de façon aléatoire. Des personnages développés longuement meurent de façon expéditive, un point final et péremptoire est apporté à des intrigues que l’auteur a pourtant mis du temps à construire. Il se perd dans des dialogues superflus, ne résiste pas à l'idée de mettre en scène des grivoiseries superflues, avec un goût prononcé pour tout ce qui tient à l’ambigüité sexuelle (les aventures de l’hermaphrodite Korthwo, les amours saphiques de Rowena avec la paranoïaque Lynna, le triangle amoureux qu’elles forment avec le roi Douleur, le striptease d’une fée asexuée…). Finalement, même s’il propose un roman de fantasy original et personnel, Pagel ne se débarrasse pas tout à fait de l’une des principales tares du genre : le bavardage, le manque de concision, la difficulté à canaliser un indéniable talent de conteur.