La Pension Almayer est un curieux endroit. Dans ce bout du monde, situé en front de mer et peuplé d’enfants étranges, viennent se perdre une poignée de voyageurs, à un moment crucial de leur existence. Parmi eux, se trouvent une jeune femme surprotégée, pas encore prête à affronter la vie ; son précepteur, un prêtre inventeur de prières ; un peintre décidé à dresser le difficile portrait de la mer ; un professeur distrait qui attend avec patience l’arrivée de son grand amour ; une femme adultère. Et une poignée d'autres encore.

ALESSANDRO BARICCO - Ocean Mer

Albin Michel :: 1998 :: acheter ce livre
Traduit de l'Italien par Françoise Brun

Réunis ici, dans ce cadre irréel, tous ces gens se découvrent, dialoguent, se racontent des bribes de vie, exposent leurs obsessions, détaillent ce qu’ils sont venus chercher en ce lieu reculé. Pendant qu’à côté, l’océan déploie ses contrastes, tantôt calme, tantôt colérique, tout à la fois fini et infini. Comme le titre l’indique, la mer est le vrai héros du roman, celui qui lie les histoires qui s’y croisent, celui qui bouleverse les vies. D’ailleurs, dès qu’il s’agit de la décrire, Baricco change de registre. Il abandonne son écriture badine et sobre pour un style poétique et emphatique chargé de dire la grandeur de l’océan.

La seconde partie du roman se consacre davantage encore à cet inhabituel personnage. Elle décrit, sans transition et sans explication, l’histoire terrible d’un naufrage au large du Sénégal, son cortège de faim, de soif, de jalousie, de lâchetés, de massacres, de sauve-qui-peut, de vengeances et de cannibalisme. Bref, d’horreur. Puis Baricco, dans l’ultime chapitre, revient sur la Pension Almayer et sur ses hôtes. Un protagoniste après l’autre, et chaque fois avec un style distinct, il décrit les suites du séjour, ce qu’il a changé dans la vie de chacun. Jusqu’aux dernières pages où convergent les deux histoires du roman, où se révèle la relation entre la pension et cet effroyable naufrage de la Méduse, d’abord à travers des indices, puis plus explicitement.

Conte philosophique à tiroirs, Océan Mer n’a toutefois pas la clarté et la concision éloquente qui ont apporté à Soie le succès que l’on sait. Plus long, plus dense et plus complexe que celui-ci, sujet à plusieurs interprétations, ce livre onirique aux multiples styles d’écriture et modes narratifs n’en confirme pas moins qu'Alessandro Baricco maîtrise tous les ressorts du roman.