Avec sa série des Gentlemen Bastards, Scott Lynch semble vouloir cuisiner à la mode fantasy tous les sous-genres de la littérature populaire. Après avoir approché le roman de cape et d'épée avec The Lies of Locke Lamora, il poursuit la saga du dit Lamora (ou Ravelle, ou Kosta, l'intéressé aimant jouer de multiples identités) sur le mode de l'histoire de pirates, en nous emmenant écumer les mers et en nous faisant vivre d'épiques abordages et batailles navales. Le cœur de l'intrigue, cependant, demeure la même : en nouvel Arsène Lupin, ou en Danny Ocean plongé dans un monde évoquant l'Italie de la Renaissance, Locke Lamora monte une nouvelle escroquerie de grande envergure, laquelle va l'emmener bien au-delà que ce qu'il avait escompté.
Bantam Spectra / J'Ai Lu :: 2007 / 2013
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Cette nouvelle aventure commence peu après la fin de la précédente. Après avoir perdu sa bande de joyeux larrons et traversé une période d'intense dépression, Locke se refait une santé dans une nouvelle cité maritime, Tal Verrar, en compagnie de son dernier ami survivant, le fidèle Jean Tannen. Ensemble, pendant deux longues années, ils préparent un nouveau grand coup. Ils s'apprêtent à détrousser le plus gros (et le plus dangereux) des nababs de la ville, Requin, qui tient une maison de jeu où les riches bourgeois de la cité viennent perdre leur fortune. A force de combines et de tricheries, les compères se sont rapprochés de leur proie et ils se préparent à l'hallali.
Cependant les bondsmages, les magiciens du coin, dont ils avaient salement amoché un représentant au cours de leurs aventures précédentes, y mettent leur grain de sel, ainsi que Stragos, le commandant en chef de l'armée locale. Celui-ci fait de Locke et de Jean, contre leur grès, ses agents perturbateurs. Les deux escrocs, sans toutefois abandonner leur projet, se voient donc confier la mission de s'improviser pirates, et de provoquer assez de troubles en mer pour offrir au machiavélique Stragos une occasion d'user de son autorité et d'affermir son pouvoir sur la ville. Ainsi commencent de longues échappées en bateau, qui vont les faire sympathiser avec une belle équipée de pirates, dont leur redoutable capitaine Zamira Drakasha, et sa seconde Ezri Delmastro, qui deviendront pour Locke et Jean une nouvelle confrérie.
Ces deux derniers changent d'horizons, mais leurs aventures suivent plus ou moins la même trame que les précédentes. Nos deux malfrats se trouvent à nouveau embarqués malgré eux dans des intrigues hautement politiques. Ils s'en sortent plus ou moins, grâce à un mélange de chance, de persévérance et de rouerie, mais ils perdent des proches dans la foulée, qu'ils voudront s'appliquer à venger. De ce point de vue, les deux intrigues sont parallèles.
On retrouve dans Red Seas Under Red Skies les mêmes qualités et les mêmes défauts que dans The Lies of Locke Lamora. Il s'agit une nouvelle fois de fantasy contemporaine, plus cruelle, violente, ambiguë que celle d'avant ; celle qui relègue la magie à l'arrière-plan, comme une vague menace qui mesure ses effets et ne se manifeste qu'avec parcimonie ; celle qui s'intéresse à la politique et qui y jette un regard pessimiste ; celle qui prend pour héros des personnages à la morale douteuse, même si Locke et Jean sont au fond de gentils bandits, même si les pirates avec lesquels ils sympathisent sont eux aussi de gentils flibustiers, même si tous ces hors-la-loi sont des Robins des Bois, et que les vrais méchants sont les rapaces qui gouvernent le monde.
Comme le volume d'avant, aussi, celui-ci joue des longueurs et des lenteurs. L'action, en effet, prend son temps avant de se mettre en place. Il faut attendre la moitié du livre pour, qu'enfin, après une intrigue statique émaillée de flashbacks, commencent les virées maritimes qui nous étaient promises. Dans la tradition de cette fantasy qui aime jouer des effets d'attente et du crescendo, Scott Lynch étire le propos. Par exemple, le plan de Stragos pour affermir son pouvoir est détaillé à trois reprises, dans trois dialogues : quand le stratège l'expose à ses nouveaux agents Jean et Locke ; quand ce dernier en fait part à Zamira Drakasha ; et que celle-ci le partage avec ses collègues (et rivaux) les capitaines pirates. Tout semble fait pour prolonger l'histoire.
La seule différence, au fond, c'est que Scott Lynch insiste encore plus que dans le précédent tome sur la relation qui unit Locke et Jean. On voit les deux héros se sacrifier l'un pour l'autre, on assiste à une brouille qui ne dure pas, et à un triangle amoureux. C'est cette relation qui rend ces personnages si attachants, c'est elle qui rend leurs aventures si addictives, qui en fait autre chose qu'une suite de péripéties triviales. Car plus qu'une histoire d'escrocs, plus qu'un roman de pirates, Red Seas under Red Skies est une bromance.