Ce n'est pas un hasard si David Anthony Durham a été adoubé par George R.R. Martin. The War With the Mein, le premier tome du cycle Acacia, avait deux gros points communs avec l'œuvre du maître : les imprévus du récit et l'ambigüité morale de ses protagonistes. Grâce à cela, Durham avait les armes en main pour captiver le lecteur, pour rendre son histoire d'autant plus prenante que tout pouvait sembler survenir, et qu'aucun personnage n'était protégé par son statut de héros. A la manière de Ned Stark, l'idéaliste Aliver était mort dès le premier volume de la série, et c'est sa sœur, la calculatrice et la manipulatrice Corinn, qui avait tiré son épingle du jeu. Elle avait restauré le pouvoir perdu par sa famille en s'alliant avec ses ennemis, en tuant même un allié. Dès lors, tout semblait possible, la suite promettait d'être d'autant plus exaltante qu'on l'imaginait partir dans toutes les directions possibles. Malheureusement, The Other Lands n'honore pas vraiment cette promesse.
Doubleday / Pocket :: 2009 / 2011
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Ce dernier est un entre-deux, un livre d'attente. Le second tome d'Acacia n'est pas un crescendo. Contrairement à l'usage en fantasy, il ne se termine pas en apothéose. Au contraire, il plante le décor avant le grand finale, une confrontation intercontinentale d'une toute autre ampleur que la guerre en deux temps qui nous était contée dans The War With the Mein. En attendant ce moment annoncé pour le troisième tome, celui-ci agrandit et complexifie le monde qui nous a été présenté auparavant, il introduit de nouveaux protagonistes, et il se penche plus longuement sur ses personnages clés.
Et c'est un peu là que la bât blesse. Certains personnages secondaires se montrent assez intéressants, comme Delivegu, l'homme de main de Corinn, un ambitieux d'extraction douteuse qui a des visées charnelles sur la reine. Mais la plupart, lui inclus, demeurent des stéréotypes, comme le lâche Rialus Neptos, les intrigants fats et ridicules qui composent cette Ligue de marchands convaincue qu'elle dirige le monde en sous-main. Parmi les personnages principaux, Mena et Dariel, respectivement sœur et frère de la reine Corinn, sont d'insipides héros courageux, immaculés et sans reproche, le deuxième devenant même le sauveur annoncé par une prophétie. Seule Corinn, parce qu'elle est la plus ambiguë de la fratrie, se montre plus captivante et plus réelle quand sont exposés les détails de sa lutte interne entre ses sentiments pour sa famille et les nécessités induites par son statut de souveraine, ou quand sont expliqués les traumatismes qui en ont fait une reine froide, machiavélique, prompte à recourir à une dangereuse sorcellerie.
Le monde qui nous est dépeint est, lui aussi, décevant. Il est plus grand, maintenant. Comme l'indique son titre, ce livre se focalise sur la découverte de l'autre continent du monde d'Acacia, Ushen Brae. Il dissipe enfin le mystère. Il en révèle les contours, les habitants, les mœurs, la faune, la civilisation. Il nous explique ce que sont devenus tous ces enfants que, pendant des générations, le monde connu avait dû envoyer vers ce continent interdit. Mais bien souvent, un secret n'est intriguant que parce qu'il en est un, et il cesse de l'être quand le voile est levé. C'est ce qui arrive quand on apprend (attention, spoiler) que les habitants de l'endroit, les Auldeks, ne sont qu'une variante de ces Numreks qu'on connaissait déjà, et que tous les jeunes gens envoyés là-bas sont devenus tout simplement… des esclaves. Quelques autres découvertes sont faites là-bas par les gens qui y ont été envoyés, Dariel et Rialus, mais rien de sensationnel. Par ailleurs, ce grand monde semble finalement bien petit, les personnages le parcourant relativement rapidement, avec une bonne maîtrise de sa géographie, comme s'ils évoluaient dans notre monde moderne cerné par les avions et les satellites, plutôt que dans les ténèbres et les distances d'un univers plus moyenâgeux.
A cela s'ajoutent une intrigue un peu décousue et des épisodes absurdes. Les gens de la Ligue, supposément les grands esprits politiques de leur monde, conçoivent un plan génocidaire délirant pour renforcer leur emprise sur le monde, qui se retourne aussi sec contre eux. Delivegu est extraordinairement bien servi par le destin quand il parvient à mettre la main sur Barad, un illuminé qui dresse les foules contre Corinn, ou quand un passage secret le conduit de manière inopinée à espionner Mena et à découvrir son secret. L'épisode où le roi Grae tente de séduire la reine ne sert pas à grand chose. Et puis il y a cet horrible deus ex machina de la fin, qui annule littéralement les rebondissements qui avaient fait tout le sel du précédent livre. De fait, The Other Lands défait presque ces imprévus du récit et cette ambigüité morale vantés plus haut. Et ces deux qualités étant moins présentes, les limites qui étaient déjà celles de Durham n'en sont que plus visibles et problématiques.