Ce qui était bien, avec The War with the Mein, le premier tome de la série Acacia, c'est qu'il subvertissait les routines de la fantasy. Aliver Akaran, le prince parfait qui, au terme d'un long apprentissage, s'apprête à reconquérir le royaume volé à son père ? Balayé par son ennemi, en raison d'un excès d'orgueil. Sa sœur Corinn, la princesse qui, au terme du roman, parvient à sa place à s'emparer du pouvoir suprême ? Une sorcière en devenir, une femme égotiste et machiavélique, pervertie par le jeu de la politique. Les traîtres comme Rialus Neptos, les ennemis redoutables comme le peuple Numrek, les intrigants comme les marchands de la Ligue, qui tous ont concouru autrefois à la chute de la dynastie Akaran ? Des alliés avec qui elle a dû composer pour retrouver son trône. Malheureusement, le troisième volume efface tout cela. Il fait prendre à la trilogie le chemin ennuyeux d'une épopée de fantasy banale.
Puisqu'il n'y aura aucun plaisir à les découvrir, révélons d'emblée quelques éléments clés de ce dénouement. La mort d'Aliver Akaran ? Elle a été annulée à l'issue du livre précédent, ce qui offre à ce prince bon et immaculé, désormais ressuscité, la possibilité de rétablir enfin l'ordre et l'harmonie dans son empire. Les intrigues de Corinn ? Elles finissent par prendre fin, la jeune reine regrettant au bout du compte sa perfidie et cherchant par un courageux sacrifice à obtenir la rédemption. Les méchants à qui elle avait dû s'allier ? Ils sont annihilés, à l'exception notable du pathétique Rialus, une chance de se racheter lui étant offerte, à lui également. Quant aux autres personnages majeurs de la trilogie, Mena et Dariel, les deux plus jeunes de la fratrie Akaran, ils ne cessent pas d'être les figures héroïques qu'ils ont toujours été.
Chez les quatre orphelins qui, depuis le début, sont au cœur de l'intrigue, il n'y a plus que bonté et dévouement, tout comme chez leurs propres enfants, Shen et Aaden. A l'inverse, les membres de la Ligue se montrent plus que jamais bêtes et méchants. Où donc sont passés les protagonistes comme Leodan, le roi mélancolique et accroc à la drogue, torturé par l'iniquité sur laquelle repose son empire ? Qui a remplacé Thaddeus Clegg, son conseiller déchiré entre loyauté et ressentiment ? Pourquoi le fantôme de Hanish Mein, le chef de clan contraint par ses ancêtres de sacrifier la princesse de son cœur, n'est-il plus que douceur, prévenance et gentillesse ? Pourquoi Corinn, l'héroïne la plus intéressante de l'histoire, devient-elle si fade, si rapidement ? Il n'y a guère plus que les envahisseurs Numrek pour rappeler, quelquefois tout du moins, l'ambiguïté qui caractérisait les personnages du premier tome.
Pour ne rien arranger, l'auteur joue comme jamais des vieilles scies de la fantasy. On croise ici une escouade de sorciers pervers et manipulateurs en quête du pouvoir absolu, un peuple d'immortels esclavagistes et menaçants, un sauveur providentiel annoncé par une vieille prophétie, des familiers qui ne servent absolument à rien (les deux bêtes sauvages recueillies par Dariel), un bestiaire animal et humain fourni, avec des dragons en prime. On y voit mis en scène la confrontation dantesque entre deux civilisations antagonistes, des pouvoirs magiques démesurés dévaster le monde et des gens sortir de leurs corps pour dialoguer dans le monde des esprits. L'auteur déploie tout un folklore de fantasy à l'ancienne, qui déçoit ses vieilles promesses d'originalité.
Il reste pourtant quelque chose des leçons politiques enseignées autrefois par Durham. Ce sont elles, sans doute, qui lui ont valu la considération de George R. R. Martin, désormais l'étalon suprême du bon goût en fantasy, dont les mots louangeurs sont bien évidemment mis en exergue sur la couverture. En dehors de ses péripéties triviales et de son dénouement sans suspense ni rebondissement, The Sacred Band, tout comme The War with the Mein, est tout comme l'œuvre de l'autre écrivain, une réflexion sur la bonne gouvernance. Le pardon s'impose parfois en politique. La paix c'est la conciliation avec l'ennemi, plutôt que son anéantissement. La puissance suprême corrompt, aussi faut-il mieux la diviser en divers contrepouvoirs. Voici quelques-uns des enseignements que, malgré tout, l'auteur parvient à partager au terme de cette série de fantasy finalement ordinaire et décevante.