Kentaro Miura est mort en mai, à l'âge précoce de 54 ans, mettant donc fin à sa grande œuvre, Bersek, une série dont l'influence aura été capitale sur l'univers du manga, pour la gravité de ses thèmes, sa morale ambiguë et la précision de ses dessins, comme sur celui de la fantasy, pour à peu près les mêmes raisons. Indépendamment de son format, il est un jalon de la dark fantasy, dont l'influence s'étend sur la littérature, le cinéma et les jeux associés à ce genre. Un jalon qu'il est temps de découvrir et de redécouvrir, alors que paraît son ultime volume. Avant même de le lire, toutefois, peut-être faut-il le regarder, notamment si l'on est abonné à Netflix.
Depuis quelques temps déjà, en effet, la plateforme en ligne met à disposition l'une des adaptations animées dont le manga a fait l'objet, celle découpée en trois films réalisés en 2012 et 2013 par Toshiyuki Kubooka. Et elle est tout bonnement magnifique. Elle est certes plus simple et dépouillée que sa version imprimée, se concentrant sur le long flashback qui prend place entre les volumes 3 et 13 du manga. Et elle est largement tronquée. Elle commence directement avec un Guts adulte, sans détour par l'enfance traumatique du héros. Et par ailleurs, quelques épisodes sont laissés de côté, comme les intrigues de la reine du Midland, la passion trouble de son époux le roi pour sa fille Charlotte, ou encore la longue chasse que mènent aux principaux protagonistes les guerriers Bakiraka, puis le monstrueux Wyald.
Ces coupes, l'absence aussi des moments burlesques et humoristiques qui parsèment le manga, concourent à focaliser l'intrigue sur son cœur : la tragédie qui s'opère entre les trois héros, ce grand arc qui montre l'ascension, la chute et la rédemption (ou plutôt l'anti-rédemption) de l'un d'eux. Pas de diversion ici, mais au contraire une longue réflexion sur les sujets qui sont au centre de l'œuvre de Miura : l'ambition, le sens de la vie, la destinée humaine, le sacrifice. Pas d'à-côtés ni de digressions, mais à l'inverse une focalisation sur le triangle amoureux complexe qui lie Griffith, capitaine de génie d'une troupe de mercenaires, Casca, sa seconde (pas si) secrètement amoureuse de lui, et donc Guts, ce guerrier taciturne et puissant armé d'une épée surdimensionnée, dont l'arrivée perturbe l'équilibre de la troupe.
La couleur noire qui domine Berserk le manga, son humeur sombre, son pessimisme, sont encore davantage mis en avant dans le film. Ses aspects les plus brutaux (sexe, sang, violence), sont décuplés par la force des images, quand par exemple un viol déjà insoutenable sur papier s'éternise à l'écran, quand les scènes de boucherie virent à l'horreur sanguinolente. Tout cela est amplifié par le format animé. Il y a d'abord le bénéfice du son, avec cette musique grandiloquente et emportée, qui décuple la tension dramatique. Il y a aussi de merveilleuses trouvailles visuelles, à commencer par la toute première, par ces images du début où l'on voit un ciel paisible et bleu être peu à peu traversé de longues trainées de feu, en fait les projectiles enflammés catapultés sur une cité ennemie. Par la suite d'autres passages, notamment ceux, nombreux, qui dépeignent des batailles, font preuve de la même magnificence.
Quelques ajouts, rares, permettent aussi d'amplifier le caractère tragique de l'histoire, comme ce moment, au faîte des jours heureux, où la revêche Casca se laisse aller au plaisir d'une danse, avec la joie intense d'une enfant. De tels passages ne font que décupler l'impact dramatique de la suite. Car après, en effet, c'est corsé. Malgré leur rudesse morale (Guts commet un infanticide, Griffith fait preuve de machiavélisme), en dépit de quelques nuages noirs (la prophétie funeste de Zodd L'immortel, l'inquiétant beherit), les deux premiers films sont linéaires. Mais avec le troisième, on change de dimension. Cette conclusion atteint des sommets de gore, de sexe et de violence à la limite même du supportable. Souligné par la musique et par de nouvelles couleurs (du rouge, du noir, alors que le blanc, le bleu et le vert dominaient avant), le changement de ton est encore plus brutal que dans la version papier.
Les détracteurs de l'animé ont regretté qu'il fasse l'impasse sur les détails et sur les péripéties du manga. Mais c'est précisément là son atout. Cela a rendu l'histoire plus simple, plus resserrée, et donc encore plus intense. En commençant directement avec le flashback, en omettant aussi quelques passages qui présagent du dénouement, il choque bien plus le néophyte que ne le fait le manga, il le tourneboule proprement. Il rend la fin plus prenante encore. Pas de spoils ici, mais le choc, la surprise. C''est même sans doute ainsi qu'il faut se plonger dans l'œuvre de Miura : il faut commencer par ce film, et puis plus tard, pour le revivre plus longuement, pour en compléter les manques et les non-dits, poursuivre par le manga.
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