On n'allait tout de même pas tuer le dragon aux œufs d'or. Alors donc, c'est reparti. Cette année, on s'est offert une suite à Game Of Thrones, ou plus exactement un préquel. Bien évidemment, cette nouvelle série a pour but de capitaliser sur le succès de l'ancienne, et si possible de le renouveler. Elle joue donc sur la nostalgie. Elle nous ramène sur les mêmes lieux, dans les mêmes atmosphères. Elle nous offre à nouveau du sexe, de la violence et des têtes coupées. Elle nous invite à renouer avec ces grandes familles aristocratiques déjà mises en scène auparavant : les rustres mais fiers Baratheon, les vaniteux Lannister, et bien entendu leurs monarques les Targaryen, la Maison du Dragon.
En nous montrant à nouveau les rues étroites et populeuses de King's Landing (Port-Réal dans la VF), en nous entraînant dans le stupre de ses bordels, en nous emmenant aussi entre les murs sinistres de Dragonstone (Peyredragon en français), en exhibant dès les premières scènes ces redoutables dragons que la famille Targaryen est la seule à chevaucher, cette nouvelle production nous ramène à l'ancienne.
Alors que le livre dont elle est l'adaptation n'en fait nullement mention, elle se réfère même plusieurs fois à la menace à venir des Marcheurs Blancs, établissant un pont avec l'autre série. La caméra s'attarde même lourdement, à plusieurs reprises, sur la dague qui à l'avenir servira à tuer le Roi de la Nuit. Et en prime, pour marquer la continuité, House of the Dragon reprend le générique de Game Of Thrones.
L'engouement pour Game Of Thrones a été phénoménal. Elle a été la série ultime, en ce nouvel âge d'or télévisuel apparu avec les services de streaming. Il n'est plus raisonnable d'espérer qu'une autre occasionne encore un tel déchainement de passions. A l'opposé, il était plutôt à craindre que House of the Dragon tourne à la caricature, au réchauffé, qu'elle soit une bouse à grand budget, qu'elle soit un beau spectacle niais, comme s'est révélé être l'autre grande production de fantasy du moment, The Rings of Power.
Mais ce n'est pas le cas. House of the Dragon, dans l'ensemble, est une réussite. Parce que ses réalisateurs n'avaient pas le droit à l'erreur après la déception qu'a été, aux yeux de beaucoup, la fin précipitée de la série précédente. Et plus sûrement, parce qu'ils y ont associé de plus près l'auteur de la saga originale, George R. R. Martin, dont l'absence s'était cruellement faite sentir sur la fin de Game Of Thrones.
Cette nouvelle série a de l'argent, certes. La comparaison avec les premiers épisodes très chiches de l'ancienne le montre avec éclat. Mais elle en use raisonnablement. Il y a du grand spectacle, et plus de dragons que jamais. Mais on renoue aussi avec une ambiance plus feutrée et plus shakespearienne. Les dialogues et les relations délicates entre les personnages redeviennent cruciaux. Il y a des huis-clos dans les salles sinistres des châteaux occupés par les Targaryen, rendus plus étouffants encore par un éclairage sombre. Et ils sont souvent les moments les plus prenants de l'histoire.
Les deux mots du titre comptent, avec House of the Dragon.
Côté dragons, il y a ces retournements de situation placés en fin d'épisodes, une marque de fabrique de Game Of Thrones. Mais dans la nouvelle série ces derniers, souvent absents du matériau littéraire de base, le livre Fire & Blood, ne sont pas toujours bien ficelés. Dans le troisième épisode, la bataille d'un seul homme contre toute une armée est absurde, son seul intérêt étant de souligner la nature impétueuse de cette tête-brûlée de Daemon. Même chose pour l'irruption d'un dragon dans un sanctuaire (ou septuaire) au terme du neuvième, une fausse surprise que l'on sentait venir à dix lieues.
Tout cela est du coup de théâtre pour le coup de théâtre, une tentative ratée de renouer avec les précédents films.
La série, toutefois, parle aussi de "house", d'une maison. En resserrant l'intrigue sur la dynastie des Targaryen plutôt que sur tout ce que Westeros compte de nobles et de chevaliers, House of the Dragon parle avant tout d'un clan. Son histoire est celle d'un drame familial. Aucune œuvre de fiction n'est un succès si elle ne fait écho aux expériences du spectateur. Or, mis de côté les enjeux politiques, le décorum médiéval et les dragons, ce qui est relaté ici est d'une grande trivialité : l'histoire, en effet, est celle du déchirement d'une famille. Il y est question de liens qui se distendent, de rancœurs qui naissent, qui pourrissent les cœurs et qui se changent en haine à la mort des aînés. Le huitième épisode, sans doute le meilleur de la saison, parle admirablement de cela quand il met en scène la réconciliation forcée de tout un clan sous l'égide d'un patriarche vieillissant. Des repas de famille lourds et tendus qui n'ont lieu que pour contenter les anciens, nombreux sommes-nous à les avoir vécus.
House of the Dragon aurait pu profiter de ses moyens et jouer du spectaculaire. Mais pour le moment, le rythme est lent. Il est peu surjoué, il est rarement hystérique. Et même si on se perd parfois parmi les personnages, même s'ils sont moins marqués et distinctifs qu'avec Game Of Thrones, même s'il y a de quoi s'égarer parmi tous ces Valyriens aux cheveux blond platine (noirs inclus, puisque tel le dicte l'agenda " inclusion et diversité" du cinéma américain) qui se nomment tous quelque chose comme Daemon, Aemond ou Aegon, leurs psychologies sont développées.
De ce point de vue, les films sont supérieurs au livre.
Fire & Blood est le récit rapide d'événements historiques. Les portraits de ses protagonistes ne sont brossés qu'à grands traits. Mais dans la série, ils sont peaufinés. L'auteur lui-même l'a admis : le Viserys de la série est supérieur au sien. Alors que George R. R. Martin avait créé un roi fainéant sans relief, Paddy Considine interprète avec justesse un homme pas fait pour être roi, et qui le reconnait aisément, mais résolu à s'acquitter de son rôle de protecteur du royaume et de sa famille, malgré la maladie qui le ronge et la fin qu'il sait proche. Et il en est de même avec d'autres personnages, comme son fils Aemond, aussi inquiétant mais plus nuancé que la brute vengeresse de Fire & Blood.
Comme pour la série précédente, l'heure du grand spectacle viendra. Puisque dans la seconde saison, une guerre fratricide devrait succéder aux tensions familiales, l'action finira par prendre le pas sur les dialogues, les espaces confinés des citadelles s'ouvriront pour dévoiler de grandes batailles. Mais sur ces épisodes tout du moins, House of the Dragon se révèle être une bonne surprise. Souvent, la nouvelle série renoue avec les plus grandes qualités de Game Of Thrones.
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