En 1999, Je m’en Vais obtient le prix Goncourt. Comme souvent en pareil cas (considérations sur les manoeuvres des maisons d’édition mises de côté), ce n’est pas l’ouvrage même qui est célébré, mais l’auteur, en retard. Je m’en Vais, en effet, n’est pas le sommet de l’œuvre d’Echenoz. Il n’est ni le meilleur ni le pire de ses livres. Il est simplement comme tous les autres : excellent.
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Je m’en Vais raconte l’histoire de Ferrer, patron d’une galerie d’art, homme à femmes, quinquagénaire fringant s’il n’était cardiaque, et pour tout dire personnage pas franchement sympathique. Il relate une année de sa vie, d’un premier janvier à l’autre, à partir de l’instant où il quitte sa femme et où il prononce les mots fatidiques éponymes du roman jusqu’à son retour au point de départ, dans l’ancien foyer conjugal. Ces douze mois, il faut dire, sont chargés. Dans ce laps de temps, Ferrer part au Pôle Nord en quête d’un trésor esquimau, subit un lourd pontage coronarien, se fait bêtement escroquer et poursuit son voleur en Espagne. Il change plusieurs fois de toit, couche avec six ou huit femmes et sa galerie connaît successivement ruine et succès.
Tant d’événements devraient changer un homme. Mais non. Au fond, les gens ne se métamorphosent pas comme ça, à part peut-être dans les livres. Dans les autres livres tout du moins. Dans celui-ci, les seuls soucis d’un Ferrer égaré en Arctique sont celles d’un homme normal, de vous et moi plongés dans les mêmes circonstances : comment vaincre le froid, comment s’occuper au milieu de ce vide, comment satisfaire un appétit sexuel fort prononcé sur une esquimaude de passage. Plus tard, le seul résultat du pontage de Ferrer est de le rendre, un temps, un peu moins attiré par les représentantes du beau sexe. Aussitôt remis, sa vie et ses préoccupations habituelles reprennent le dessus. C’est qu’Echenoz écrit de vrais romans réalistes. Il arrive à Ferrer des histoires qu’aucun marchand d’art ne connaîtra jamais, les personnages traversent quantité d’événements singuliers. Pourtant ils restent des hommes comme les autres, toujours un peu minables, plutôt égoïstes, mais jamais vraiment méchants. Même s’il peut leur arriver, par exemple, de congeler un junkie en l’enfermant dans un camion frigorifique.
Heureusement, pour rendre compte des préoccupations triviales de ces héros qui ne méritent pas vraiment leurs aventures, il y a l’inimitable style d’Echenoz. Son ton désinvolte, ses apartés exquis, cette ironie d’autant plus drôle qu’elle n’est jamais cruelle, qu’elle est toujours compréhensive et bienveillante, sont toujours un délice. Ici, l’écrivain relève avec malice les faux-semblants d’un XVIème arrondissement supposé ennuyeux. Là, il décrit avec le comique d’un bon film muet des années 20 comment Ferrer, aux premières loges d’un enterrement, manie le goupillon destiné à bénir le macchabée. Tout au long du roman, Echenoz se livre avec adresse à une gentille satyre du monde des arts et de ses mécanismes, il en rit avec indulgence. Et nous aussi, pour le coup.
A noter, l’édition de poche de Je m’en Vais contient une interview fort intéressante d’Echenoz qui porte sur ses procédés d’écriture.