Dès son premier roman, Châteaux de la colère, presque tout Baricco est en place. Presque tout ce que l’on retrouvera plus tard dans Océan mer, l'une de ses œuvres les plus connues. Un lieu, des situations, des destins et des personnages oniriques et improbables. Des noms bizarres sortis de nulle part (Quinnipak, Pekish, Pehnt). Une grande diversité de styles, des dialogues aux digressions poétiques. Un objet, une chose personnifiée placée au centre de l’histoire, en l’occurrence, la locomotive Elisabeth. Et une intrigue discrète, d’abord à peine visible, mais qui se dévoile à la fin du roman.
A première vue, rien ne lie les petites histoires invraisemblables qui arrivent aux personnages de Châteaux de la colère, sinon qu’elles se croisent toutes à Quinnipak, une petite ville imaginaire située quelque part dans l’Angleterre du XIXème siècle. Mais à bien y regarder, il y a une constante : tous les protagonistes sont animés par une idée aussi fixe que farfelue. Pour Monsieur Reihl (Monsieur Rail, donc, prononcé à l’anglaise), se faire construire sa propre voie de chemin de fer de deux cent kilomètres. Pour sa femme, une Jun Reihl aux lèvres magnifiques, traverser un jour l’océan pour se faire lectrice. Pour Pekish, découvrir la mélodie parfaite. Pour Horeau l’architecte, bâtir un palais tout en verre. Pour Pehnt, l’enfant à l’éternelle veste mal ajustée, trouver tout bêtement un sens à sa vie. Pour la fausse veuve Abegg, agir comme si elle avait été vraiment mariée.
L’autre point commun, c’est l’innocence. Une innocence ni béate ni immaculée. Ces personnages ont des problèmes, ils se mentent, ils se fâchent, ils se trahissent et ils se trompent. Il se déroule même un quasi inceste. Mais tout se fait avec une absence absolue de méchanceté, avec le plus grand naturel, un naturel irréel.
Dans ce roman, le seul défaut de jeunesse est le style, encore bavard, pas aussi fluide que celui d’Océan mer, infiniment moins concis que celui de Soie. Quelquefois, Barrico donne l’impression de se perdre. Ou il nous perd, nous lecteurs. Jusqu’à ces ultimes pages où tout s’explique et s’illumine, où le fondement véritable du roman se manifeste, tel une révélation. Où enfin nous comprenons ce qu’est Quinnipak, qui sont ces personnages, où sont les châteaux et où est la colère.
Alors enfin, Châteaux de la colère montre qu'il est un grand roman.
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