Jean-Claude Lattès :: 2000 :: acheter ce livre
Traduit de l'allemand par Janine Bourlois

Les Femmes du Troisième Reich est l’un des livres qu’Anna Maria Sigmund, philosophe et historienne autrichienne, a consacré aux femmes nazies. Cet ouvrage d’histoire grand public part d’une thèse simple : le national-socialisme a voulu cantonner les femmes au rôle de mères pondeuses et de jolies marmitonnes germaniques, mais en 1930 l’émancipation féminine était déjà fortement avancée en Allemagne et ces dernières ont finalement joué un rôle important dans l’expérience hitlérienne. D’abord, elles ont succombé en nombre aux attraits du NSDAP, au point de constituer une partie majoritaire et décisive de son électorat. Ensuite, Hitler et ses séides se sont largement servis de leur pouvoir de conviction auprès des femmes de la haute société pour gagner l’oreille et les faveurs de leurs époux. Enfin, l’intelligentsia nazie a compté plusieurs personnalités féminines clés. L’ouvrage relate la vie de huit d’entre elles, épouses et maîtresses des dignitaires du IIIe Reich ou femmes d’influence, dont les plus connues sont la compagne d’Hitler Eva Braun et la cinéaste Leni Riefenstahl.

Pour mener à bien son ouvrage, Anna Maria Sigmund a exploité les sources fatalement restreintes de l’époque. Souhaitant faire des femmes des êtres soumis et de second plan, les nazis n’ont pas exposé la vie de leurs compagnes de route ou l’ont fait en taisant tout ce qui faisait scandale. Forts caractères, aventures extraconjugales et amitiés juives passées sont minorés ou cachés. A part quelques documents de première main (le journal de Goebbels par exemple), il a fallu potasser les hagiographies de l’époque, des correspondances échappées de cette période, des témoignages indirects (des ambassadeurs étrangers en Allemagne au dentiste de Hitler) ou les récits après-guerre des principales intéressées. L’historienne avertit plusieurs fois le lecteur de ces biais, mais cela ne l’empêche pas de reproduire tels que des extraits de lettres de Carin Göring divulguée par la sœur de l’intéressée en pleine gloire nazie et qui sentent à plein nez la réécriture.

Les Femmes du Troisième Reich a les qualités et les défauts des livres d’histoire grand public. Malgré quelques lourdeurs de style dues vraisemblablement à la traduction, il est facile et agréable à lire. Difficile de ne pas se passionner pour le destin exceptionnel de ces femmes bousculées par l’Histoire, par leurs vies aventureuses et mélodramatiques. Emportées par le fanatisme nazi, elles ont traversé des moments de gloire et de luxe inimaginable, avant de déchoir brutalement ou de s’anéantir totalement, tel le couple Goebbels. En contrepartie, le livre se montre terriblement factuel. Il porte peu d’enseignements et n’illustre qu’en partie la thèse défendue en préambule. Certes, toutes ces femmes sont loin d’être des potiches. A part Eva Braun, une cruche de premier ordre, elles se sont montrées autonomes et promptes à l’action. Mais leur influence et leur poids politiques sont demeurés insignifiants. Beaucoup se sont laissées porter par les événements et leurs vies ont été parallèles en tout point au destin de leurs amants ou protecteurs. Et celles qui ont voulu nourrir par leurs propres moyens une forte ambition personnelle ont été dupées et méprisées (cf. le portrait de Gertrud Scholtz-Klink).

Finalement, le principal mérite de l’ouvrage est de rétablir à destination du grand public une image plus juste et plus réaliste des acteurs du nazisme et de mettre fin à quelques légendes apparues dans l’immédiat après-guerre, comme les tortures d’animaux attribuées aux dignitaires nazis dans le faux Journal d’Eva Braun fabriqué par Luis Trenker (p. 283) ou l’impuissance supposée d’Adolf Hitler. Finie, la déshumanisation excessive des principaux acteurs du IIIe Reich, assimilés à des êtres démoniaques, à une anomalie de l’histoire. Sans que leurs fautes soient minorées, bien au contraire, les femmes présentées ici tout comme leurs compagnons apparaissent sous un jour plus réaliste. Ils ne sont, finalement et malheureusement, que des êtres normaux dont les ambitions, les délires, la faiblesse et les frustrations personnelles ont rencontré ceux d’une époque pour aboutir aux terribles violences, méfaits et horreurs que l’on sait.