La fantasy puise loin et large. Dans les mythologies, dans les légendes et dans les romans médiévaux, dans Shakespeare, dans les contes de fées, dans la littérature victorienne, dans les pulp magazines des années 30. Mais son triomphe sous la forme que nous lui connaissions (en gros, marquée à vie par Tolkien) est relativement récente. Ca n’est que sur les trois dernières décennies que le genre est devenu majeur au sein de la littérature populaire, qu’il a supplanté pour de bon sa parente proche, la science-fiction, et qu’il a investi d’autres champs, cinéma et jeu en premier lieu. Il était donc temps qu’un Que-sais-je lui soit consacré. Et celui qui répond à cette commande est Jacques Baudou, journaliste au Monde, déjà auteur du numéro de la collection dédié à la science-fiction.
Les limites de l'exercice du Que-sais-je sont connues : être le plus exhaustif possible sur un thème vaste, mais tenir sur 128 pages. Cependant l’auteur y parvient, il traite le genre sous tous les angles : sa généalogie, ses caractéristiques, ses sous-genres, ses déclinaisons nationales, le rôle décisif de l’œuvre de Tolkien et de quelques autres, l’influence de la fantasy sur la production télévisuelle et cinématographique, sur les jeux vidéo, sur les jeux de rôle. Mais une fois tout cela exposé, il reste naturellement bien peu de place à l’accroche, à la passion et aux marottes personnelles. Hormis les très riches pages sur l’origine du genre, La fantasy est pour une bonne part une liste longuette d’oeuvres diverses dans laquelle le néophyte aura bien du mal à se trouver un point d'entrée.
Toutefois, sans trahir le très contraignant cahier des charges du Que-sais-je, Baudou parvient parfois à insister sur les oeuvres qui lui paraissent les plus singulières. Il analyse L’Histoire sans fin de l’Allemand Michael Ende sur pas moins de huit pages, alors que la biographie, l’œuvre et la descendance de Tolkien tiennent sur deux fois moins. De la même façon, même s'il lui reconnait une influence moindre, il élève Mervyn Peake au même rang que le créateur des Hobbits, celui de père fondateur. S'il lui est difficile de passer outre Tolkien, Baudou ne semble pas s’intéresser plus que ça à son œuvre. Celle-ci est traitée sur un mode purement historique (la chronologie de son succès), mais rarement sur le fond. Preuve de ce désintérêt, cette bourde sur le lien de parenté entre Bilbo et Frodo, présentés comme père et fils (ils sont oncle et neveu) et qui fera étouffer n’importe quel passionné des Terres du Milieu.
Autre contrainte du Que-sais-je, l’absence de débat, de polémique et de contradiction. Les questions soulevées par le succès de la fantasy sont abordées (pourquoi ça, et pourquoi maintenant ? Quel futur pour le genre ? Pourquoi la fantasy a-t-elle supplanté la science-fiction ? Est-ce une littérature de fuite ou d’évasion ?), mais elles ne sont pas réellement tranchées. Tout juste l’auteur écarte-t-il ou nuance-t-il les analyses et les critiques les plus superficielles. Celle, par exemple, récurrente, qui oppose la littérature de régression que serait la fantasy à celle de réflexion et de critique sociale que prétend être la science-fiction. Difficile, cependant, de pousser plus loin dans un format aussi contraignant. En aucun cas ce Que-sais-je ne pouvait être beaucoup plus qu’une première base bibliographique.