Pocket :: 2003 :: acheter ce livre

Ce long livre de plus de 700 pages est donc une compilation. Passée une préface signée... Philippe Manoeuvre (les deux hommes ont collaboré à Métal Hurlant et aux Enfants du Rock), dans le style de Philippe Manoeuvre ("mon pote Goimard, c’est un cador"), se présente une foule éparse d’articles, réflexions, critiques, portraits, biographies, dossiers, préfaces, nouvelles parodiques, et même un article rédigé par un autre (Jean-Claude Mallé) mais révisé par le maître. Qui plus est, ces textes sont issus de publications très différentes, ce qui aboutit à une grande pluralité de styles. On ne s’adresse pas de la même façon à un lecteur du Monde ou de Fiction. Pour le premier, Goimard se fait sérieux, sobre, didactique et général. Pour le second, il multiplie les références, les clins d’œil, les private jokes et les digressions.

Tout cela est donc très décousu. L’auteur a voulu assembler le tout dans un ensemble cohérent en rédigeant quelques articles originaux pour combler les trous trop béants et en agençant ses textes selon un ordre logique. Mais cela est artificiel. Ces Oeuvres (presque) Complètes de Jacques Goimard ne sont pas une encyclopédie (cela, il le prévoit pour plus tard), ni une somme sur le Merveilleux. Quand l’auteur compile les nombreux articles qu’il a consacrés à un seul et même sujet (par exemple quand il est question de Marion Zimmer Bradley ou de Siudmak), elles sont remplies de répétitions. Elles sont aussi pleines de manques. Même s’il est question d’auteurs aussi incontournables que Moorcock ou Zelazny, ceux-ci n’ont pas leur article ou leur chapitre dédié. Tolkien lui-même n’apparaît que pour une comparaison avec Pierre Boulle, l’auteur de La Planète des Singes, ou pour démontrer que Le Seigneur des Anneaux et Loft Story respecteraient en fait la même structure scénaristique...

Il n’est d’ailleurs pas seulement question de fantasy ici. Si le mot "merveilleux" figure dans le titre, c’est que le spectre choisi est large. Défini dès le premier chapitre (le plus ardu, histoire de démontrer que Goimard est bel et bien un cador), le périmètre recouvre bien des sujets (l’Atlantide selon Platon, les mythes chrétiens, James Bond, King Kong, le carré blanc à la télévision française, etc.) et bien des genres (littérature et cinéma en premier lieu, mais aussi bande-dessinée, jeux de rôle et peinture). Jacques Goimard est âgé, il est né en 1934, et sa carrière a précédé de loin le triomphe récent de la fantasy. D’où la place qu’il accorde à des choses aussi anciennes que le péplum, Edgar Rice Burroughs ou Flash Gordon. D’où le fait qu’il parle beaucoup plus de science-fantasy (via Zimmer Bradley et McCaffrey) ou de space opera (via Star Wars et d’autres) - ces genres bâtards à mi-chemin entre sci-fi et fantasy - que de fantasy proprement dite, de type moyenâgeux.

Cependant, même pour ceux qui ne viendraient à ce livre que pour la fantasy pure, cela n’est pas plus mal. Car toutes ces choses (Flash Gordon, McCaffrey, etc.) ont permis au genre de survivre caché et d’avancer derrière le masque de la science-fiction. D’ailleurs, toutes les questions par ce genre sont abordées ici. Dans la Critique du Merveilleux et de la Fantasy, il est question du monomythe, cette thèse défendue par Joseph Campbell, et avant lui par Vladimir Propp, selon laquelle tous les mythes, légendes ou contes de fées suivraient un même schéma. Il est question aussi de l’opposition entre science-fiction et fantasy, le premier vantant son engagement et sa prise sur notre temps, le second faisant valoir sa capacité à faire sens sans s’encombrer de tout un bric-à-brac technologique. Il est question enfin de cette tendance qu’ont les romans de fantasy à s’éterniser en sagas infinies, selon une recette semblable en tout point à la bonne vieille série Dallas.

La Critique du Merveilleux et de la Fantasy a une autre qualité, celle de son angle compilatoire et personnel. En ne traitant que de quelques marottes, avec passion et humour, Jacques Goimard invite à la découverte. Bien plus qu’une encyclopédie exhaustive, cet ouvrage donne envie. Envie, par exemple, de découvrir Les Croisés du Cosmos de Poul Anderson, cette aventure tout compte fait pas si abracadabrante où des combattants anglais du XIVe siècle se retrouvent embarqués par un extra-terrestre et finissent par devenir les maîtres de son univers. Envie de dénicher les vieux péplums où s’illustre Maciste, héros capable de combattre à l’Age de Pierre avant de se retrouver à la cour de Kubilaï Khan. Envie de regarder de plus près les peintures de Wojtek Siudmak et de découvrir que, peut-être, finalement, elles sont un peu plus que des horreurs façons "Conan le Barbare meets Salvador Dali". Ne manquent finalement que quelques illustrations et un peu plus de bagage, l’auteur s’exprimant trop souvent de façon entendue à un lectorat vieilli ou disparu, analysant comme si tout le monde les connaissait des oeuvres aujourd’hui oubliées, commentant des peintures et dessins dont aucun n’est reproduit ici. Mais quand nous aurons découvert tout ce qui nous a intrigué dans ce livre, nous aurons toujours le loisir d’y revenir. Et d’y apprendre encore de nouvelles choses de la part du vieux maître Goimard.