AvoNova / Eos :: 1993
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Il fut un temps où les contes de fée se racontaient entre adultes. Le sexe et la violence y étaient explicites. Le happy end n’y était pas systématique. Puis vinrent le XIXème siècle et l’essor de la littérature réaliste et sociale. A dater de cette époque, le conte de fée fut déconsidéré et infantilisé. Un siècle plus tard, les dessins animés sans aspérité de Disney n’ont rien arrangé. Le conte de fée est devenu pour longtemps un genre aseptisé réservé aux tout-petits. Editrices et rédactrices en chef d’ouvrages et de magazines de littérature fantastique, Ellen Datlow et Terri Windling ont voulu revenir en arrière. Elles ont demandé à une vingtaine d’écrivains de fantasy et d’horreur de se réapproprier les thèmes propres à ces contes et de les recycler dans des nouvelles destinées aux adultes. Snow White, Red Blood est le premier volume de cette initiative, le seul traduit en Français sous le nom de Blanche Neige, Rouge Sang.
Ils et elles se sont tous acquittés de la tâche, sous des formats très différents. Les uns ont inventé de nouveaux contes de fées. D’autres ont réactualisé les histoires traditionnelles en les transférant à notre époque ou en faisant mieux ressortir leur érotisme implicite. Ainsi voit-on Blanche-Neige se faire abuser par les 7 Nains (la scène n’est pas décrite, je vous rassure) et coucher avec sa belle-mère (ah si, celle-ci est détaillée). Ou bien le Petit Chaperon Rouge devenir le jouet sexuel consentant de son prédateur de beau-père. Plusieurs des participants ont aussi détourné les contes les plus connus pour leur donner un tour inattendu et jouer de l’effet de surprise, ainsi de cet autre Petit Chaperon Rouge où les rôles de la grand-mère et du loup ont été inversés. Un autre grand classique est de prendre le point de vue du méchant ou du personnage secondaire, qu’il s’agisse du loup ou du prince charmant transformé en grenouille, qui se retrouve ici en psychothérapie.
Comme pour toute compilation, tout cela est inégal. Principal mauvais point, plusieurs des auteurs ont appauvri les contes en les détaillant trop et en explicitant trop violemment leur contenu sous-jacent. Ecrits pour des adultes, les contes traditionnels tombent de plusieurs à un seul niveau de lecture. Avec ces nouvelles, la méchante belle-mère est pour de bon une méchante belle-mère, il n’y a plus de place pour une lecture oedipienne de l’histoire. Le loup devient vraiment un prédateur sexuel. Bref, Bruno Bettelheim se serait arraché les cheveux à la lecture de plusieurs ce ces contes. Car "adulte" n’est pas forcément le contraire de "niais", comme le montre ce "Stalking Beans" où Nancy Kress croit nécessaire de rendre morale l’histoire du Haricot Magique, en punissant ce vilain voleur de Jack. Ou comme l’illustre "Snow Queen", récit horrible de nigauderie romantique rédigé par Patricia A. McKillip.
D’autres auteurs s’en tirent infiniment mieux. C’est le cas de Caroline Stevermer et de Ryan Edmonds, qui mettent les rieurs de leur côté avec l’excellent "Springfield Swans". Sous leur plume, le conte de fée reste un conte populaire raconté sur un mode oral, mais il est transplanté dans le Mid West américain et tourne autour d’une histoire de base-ball. C’est aussi vrai de Lisa Goldstein. Dans son "Breadcrumbs and Stones", l’écrivain ne réactualise rien. Elle démontre juste la richesse métaphorique des contes de fée en dressant un habile parallèle entre Hansel et Gretel et l’histoire d’une famille qui a perdu les siens dans les camps de concentration. Ces deux nouvelles sont de haute volée, mais les chapitres les plus passionnants de Snow White, Red Blood, ce sont encore les préfaces.
Dans ces introductions, les deux instigatrices expliquent la raison d’être du livre, chacune se positionnant par rapport à un auteur célèbre. Dans la seconde préface, Ellen Datlow s’oppose à Bruno Bettelheim, décidément bien malmené dans cet ouvrage. Elle contredit la recommandation du célèbre psychanalyste selon laquelle toute histoire destinée à l’enfant doit avoir nécessairement un heureux dénouement. Dans la première préface, c’est à JRR Tolkien que Terri Windling se réfère. Elle cite son essai sur les contes de fées et considère avec lui que le roman réaliste, la notion d’avant-garde et le mythe de la rupture artistique n’ont été qu’un moment malheureux de l’histoire de la littérature, qu’ils ont étouffé la richesse des contes de fées et injustement discrédité leur tendance au recyclage des thèmes et des formules, cette sorte de pré-sampling littéraire.
L’argumentaire développé par Windling dans cette préface est clair et convaincant. Mais il y a quelque chose de dérangeant. Si Tolkien l’a développé avant elle, c’est peut-être finalement que le véritable conte de fées pour adultes, ce compromis entre la littérature romanesque et les contes oraux du temps de l’analphabétisme, c’est Le Seigneur des Anneaux et toute la fantasy qui a suivi, plutôt que les histoires bâtardes et souvent appauvries qu’elle et Ellen Datlow proposent dans cet ouvrage et dans ses suites.
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