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Science-Fiction

MAURICE G. DANTEC - Les Racines du Mal

J’avais 10 ans de retard. Je n’avais jamais rien lu de Dantec. Eh bien voilà. C’est fait. Pour la toute première fois. Et pour la toute dernière aussi, sans doute.

Gallimard :: 1995 :: acheter ce livre

C’est un pavé et pour cause. Dans cet épais roman, Maurice G. Dantec a cherché à placer à la fois un thriller (la poursuite terrifiante d’une bande de serial killers), un polar (la recherche des auteurs de crimes attribués à un autre), de la science-fiction (le héros est assisté par un système sophistiqué d’intelligence artificielle) et un poil de métaphysique (des réflexions sur la nature de l’homme, sur sa place dans l’univers, sur la cabbale, tout ça). Ca fait beaucoup, mais ça s’agence relativement bien, ça se lit comme du petit lait et ça contient des passages proprement impressionnants. Même si, pris séparément, ces quatre romans en un ne seraient peut-être pas si convaincants.

D’abord le thriller. L’angoisse et l’horreur dont Dantec a truffé son bouquin sont ce qu’il y a de plus mémorable dans Les Racines du Mal, à commencer par les 100 premières pages qui décrivent la folle échappée du tueur en série Schaltzmann, le Vampire de Vitry, fou furieux paranoïaque convaincu que la Terre est dominée par des extra-terrestres nazis et qu’il est le dernier véritable résistant, le Dernier Homme. Tout au long de sa fuite de la banlieue parisienne à Utah Beach, via l’Auvergne puis la Bretagne, rien ne nous est épargné : assassinats par le feu, les balles ou l’automobile, pyromanie, dissection, cannibalisme, cocktails d’animaux morts passés au mixeur. C’est une effarante collection d’horreurs décrites du point de vue même de l’homme dérangé qui commet ces crimes. Mais après, fort heureusement, le roman se calme. Il faudra attendre la deuxième moitié du bouquin pour voir surgir d’autres moments de terreur. Les crimes changeront d’échelle, ils deviendront collectifs, avec sadisme extrême, chambre de torture et tout le toutim. Mais leur description n’atteindra plus jamais l’intensité du récit de la cavale d’Andreas Schaltzmann.

Ensuite le polar. Il commence bien, lui aussi, quand après la description des exploits meurtriers de Schaltzmann, se lancent deux enquêtes parallèles, la première officielle et expéditive, une autre plus officieuse et qui conclut à cette constatation effroyable : un autre tueur existe, et il est toujours dans la nature. Les grippages et les erreurs de l’enquête officielle sont l’occasion pour Dantec de s’en prendre aux mécanismes de notre démocratie médiatique. Il fallait un coupable aux masses vengeresses : Schaltzmann portera donc le chapeau pour tous les crimes, contre toute évidence. A ce moment, on pense deviner que l’auteur va vouloir démontrer les perversités de notre système politique et institutionnel, nous faire comprendre que les délires paranoïaques de son serial killer ne sont peut-être pas infondés. Mais non. La traque des tueurs se poursuivra sans cela, et de façon un peu linéaire, par une longue suite de découvertes toutes aussi terrifiantes les unes que les autres, mais sans réel rebondissement, sans fausse route, sans surprise, sans l’une de ces intrigues finement agencées dont sont faits les meilleurs polars.

Puis vient la science-fiction. Pour mener à bien son enquête, Darquandier, le narrateur, a recours à une neuromatrice, système d’intelligence artificielle révolutionnaire classé "secret défense". A l’aide de données sur les méfaits des tueurs, la machine permettra la résolution définitive de l’énigme. Si un tel engin est possible, c’est que Dantec place son histoire dans un futur proche, la fin des années 90. Aujourd’hui que cette époque est devenue notre passé , nous pouvons nous hasarder à juger la perspicacité et les intuitions de l’auteur. Il s’est certes planté sur l’environnement géopolitique : avec ce monde cataclysmique travaillé par la guerre et les velléités sécessionnistes, jusqu’en France et en Chine, l’auteur n’a fait qu’amplifier les événements de son temps, en l’occurrence les guerres yougoslaves. Il va aussi trop vite dans la technologie : téléphone mobile excepté, les gadgets technologiques qu’il présente nous paraissent toujours aussi futuristes de nos jours. Mais à l’inverse, son cybermonde généralisé n’est pas sans rapport avec celui que nous connaissons via internet.

Enfin passons à Dantec le penseur, soit le côté le plus gonflant et le moins convaincant du bouquin. L’écrivain ne fait finalement que reprendre une vieille scie, l’idée selon laquelle la science n’est qu’un chemin plus long pour arriver aux mêmes conclusions que celles des cabalistes, religieux et autres illuminés. Eh bien oui, et si la folie de Schaltzmann le serial killer dissimulait une grande perspicacité, des capacités intellectuelles extraordinaire ? Bof. Ouais. D’ailleurs, au bout du compte, on ne sait même pas quelle est la position de Dantec lui-même, ou celle de Darquandier le narrateur, sur la question. Même circonspection pour les réflexions sur l’insignifiance de l’homme dans l’univers qui émaillent le bouquin, et pour la théorie sur les racines du mal. Plus terre à terre mais plus convaincants sont en revanche les liens que l’écrivain établit entre notre société du temps libre et le phénomène des serial killers.

Les Racines du Mal est tout plein de beaucoup de choses. Trop plein sans doute. C’est une sorte de mélange de tout ce qui tenait au cœur de Dantec, la fusion compliquée des sources éclectiques listées en première page, la digestion difficile d’un menu trop gras. C’est un roman trop long où des détails ont été placés au hasard, où les aléas de l’intrigue ont parfois autant de sens et de suite que ceux d’un soap opera. C’est un début impressionnant, très impressionnant. C’est une histoire que l’on peut difficilement lâcher, fasciné par cette galerie des horreurs que Dantec sert d’emblée. Mais c’est aussi une fin bâclée et une conclusion abominablement banale (aujourd’hui, les tueurs en série professionnels sont partout, ils sont cachés et ça fait peur) qui trahit ce que les premières pages laissaient espérer.

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