Deux lieux, à Paris : la place Edgar-Quinet, dans le quartier Montparnasse, où un pêcheur breton sur la touche qui a réinventé le métier de crieur se met à déclamer des messages intrigants au milieu d’annonces plus triviales ; et de nouveaux locaux dans le XIIIème arrondissement pour le groupe homicide de la Brigade Criminelle, où le distrait Commissaire Adamsberg commence à enquêter sur de mystérieux "4" inversés qu’un maniaque s’amuse à peindre sur les portes des immeubles de la capitale. Deux séries d’événements sans grand rapport, à première vue, jusqu’à ce que soit identifié un inquiétant dénominateur commun : la peste, la plus terrible épidémie de l’histoire, qu’un terrifiant serial killer semble vouloir réintroduire à notre époque.

Voici pour le début de l’histoire, habilement amenée par ces deux récits convergents. Voilà donc un roman policier singulier et un mode criminel original.

Cependant, ce n’est pas pour son intrigue que Fred Vargas se distingue.

Celle-ci commence bien, elle accroche d’emblée. Très vite, il devient évident que le livre sera difficile à lâcher. Mais après, c’est moins évident. Le suspens n’est pas total. Les rebondissements sont un peu grossiers, ils ne sont pas toujours bien amenés. Pars vite et reviens tard n’est pas de ces romans policiers, les meilleurs, où la solution de l’intrigue est dissimulée adroitement au sein des premières pages, de ceux où l’on dit, au moment de la révélation finale, "mais bon sang, c’était bien sûr !". Et puis on se demande ce que viennent faire ces bouts d’histoire d’amour entre le commissaire et sa compagne, dont le seul lien avec l’essentiel du livre se trouve dans le titre, recommandation adressée autant aux amants trahis qu'à ceux qui voudraient fuir la peste.

Mais l’écrivaine a d’autres ressources.

D’abord elle a ce style cru, efficace et imagé. Son roman est rempli d’aphorismes bien sentis et de métaphores fleuries. Ainsi dit-elle d’une policière obèse à la poursuite d’un fin jeune homme en fuite qu’elle est "aussi impuissante qu’un tank au cul d’une mouette". C’est charmant, explicite et très représentatif des multiples comparaisons dont elle parsème son récit.

Ensuite, il y a tous ces détails historiques sur la peste, sur la façon dont elle s’est propagée, dont on l’a vécue et dont on en est mort, détails que Vargas puise dans son passé d’archéologue et de médiéviste. Ils lui permettent d’imaginer comment réagirait notre société si ce fléau revenait. Ce qu’elle décrit, d’ailleurs, n’est pas flatteur. Fragiles, superstitieux, naïfs, irrationnels, voici comment elle imagine la plupart de nos contemporains.

Enfin, Vargas a un don pour décrire et faire vivre des personnages insolites et attachants. Sans révéler l’identité de l’assassin, mentionnons le héros, ce commissaire Adamsberg présent dans deux autres livres de la romancière, tellement étourdi qu’il trompe sa compagne sans s’en apercevoir, mais policier génial qui fonctionne davantage à l’instinct, à la Maigret, que par déductions, à la Sherlock Holmes. Citons également ce médiéviste, présent lui aussi dans un autre roman de Vargas, spécialiste français de la peste devenu femme de ménage. Ou Joss Le Guern, le marin converti crieur après avoir castagné son armateur et être devenu persona non grata dans tous les ports de Bretagne. Ou Danglard, le gros lieutenant au grand cœur qui fond par le bas. Ou Lizbeth, la prostituée noire devenue chanteuse. Et bien d’autres encore.

Davantage que l’intrigue et que le retour du spectre terrifiant de la peste, ce sont ces portraits inoubliables, à l’opposé des profils sombres habituels aux romans policiers, qui contribuent à rendre le livre de Fred Vargas si séduisant.

Acheter ce livre

PS : ce bouquin à peine refermé, j’apprends qu’une adaptation cinématographique du roman vient d’être filmée. Sortie en janvier 2007. A voir comment ce film saura mettre en scène les personnages pittoresques imaginés par Vargas.