Drame de la solitude. Une sorte de Mr. Bean parisien perdu dans la grande ville raconte comment il a élevé un python. Désopilant et désespérant.
Mercure de France :: 1974 :: acheter ce livre
Fort de son expérience d’éleveur de serpent à domicile, Michel Cousin se lance dans un ouvrage sur la vie des pythons en environnement urbain. Mais l’animal dont le livre raconte finalement l’histoire, c’est lui-même plutôt que son étrange animal de compagnie, c’est cet employé de bureau lambda, statisticien de surcroît, cette petite unité perdue dans la masse et dans la grande ville, ce gentil dingue dont les seuls réconforts, outre le serpent, sont une idylle imaginaire avec une jolie guyanaise et le recours aux prostituées, les "bonnes putes", comme il les appelle. Gros-Câlin, c’est le nom qu’il a donné à son python, mais c’est aussi lui. C’est ainsi en tous cas que ses voisins et ses collègues finissent par appeler cette victime de la solitude. Petit à petit, d’ailleurs, le pauvre homme en vient à s’identifier à l’animal, jusqu’à venir à manger des souris, au grand effroi de la femme de ménage.
Gros-Câlin raconte à la première personne les aventures délirantes de ce Mr. Bean parisien qui s’exprime à la façon de Richard Virenque dans Les Guignols de l’Info. Et il s’en passe de belles. Tantôt, c’est le python qui s’échappe par la tuyauterie, au grand désarroi de son maître, pour émerger dans les toilettes de la voisine au moment même où elle allait faire ses besoins. Une autre fois, c’est Cousin en détresse amoureuse qui débarque par erreur dans le bureau de son chef, un verre rempli de violettes à la main. Il se retrouve aussi au poste après que sa femme de ménage ait découvert le python dressé dans la corbeille. Sans oublier cette tentative peu concluante de thérapie de groupe en compagnie d’autres cas pathologiques de son espèce.
Les situations sont cocasses, mais le style l’est encore davantage. Dans ce grand monologue intérieur qu’est son livre, Cousin multiplie les calembours involontaires et les lapsus. Ultime drame de la solitude, le bonhomme se crée des références, une mythologie et une vision du monde d’autant plus délirantes qu’elles n’ont jamais été confrontées ou partagées avec qui que ce soit. Son angoisse d’homme seul lui fait multiplier les bourdes, les erreurs de langage, des inversions à la Dupondt : "Mon grand problème, monsieur l’angoisse, c’est le commissaire" (p. 45). A l’image du serpent, il s’emmêle, il fait des nœuds, des virages, des détours, des digressions : "ici, je suis obligé de faire un détour et de rentrer chez moi (…). Mais réflexion faite, afin de ne pas donner au lecteur intelligent une impression de confusion et de nœud inextricable, par suite de mes enroulements gracieux en spirales autour de mon sujet, je décide de rendre d’abord compte du bonheur qui me saisit dans l’ascenseur…" (p. 144).
Et puis il y a cette fâcheuse propension à vouloir tout justifier. Cousin accompagne chaque affirmation ou presque d’un "à cause de" ou d’un "grâce à" suivi d’une explication on ne peut plus extravagante. Le maître de Gros-Câlin remonte aux causes premières : "Avant Madame Niatte, j’avais une femme de ménage portugaise, à cause de l’augmentation du niveau de vie en Espagne" (p. 35). Ou bien il explique le comportement de Mlle Dreyfus, qui est noire, par celui des antilopes en Afrique. La détresse affective de Cousin est telle qu’il s’est entiché de l’animal le plus froid et le plus inexpressif qui soit, mais le brave homme tient malgré tout à maquiller son désarroi, il précise que ses conditions de vie découlent de ses propres choix, que tout est sous contrôle. Même s’il semble sombrer de plus en plus dans la folie à mesure que l’ouvrage avance, même si ses aventures deviennent sans cesse plus délirantes, ses propos plus décousus, son destin plus comique et tragique à la fois. Jamais on a tant ri d’un drame aussi commun et partagé que la solitude.
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