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Gunpowder Empire est le premier volume d’une série, "Crosstime Traffic", délibérément adressée à un public jeune, et mettant en scène des marchands de la fin du XXIème siècle commerçant incognito d’un univers à l’autre. Sur une tonalité très morale, politiquement correcte, il met en scène deux adolescents américains, Amanda et Jeremy Solters, coincés dans un monde parallèle où l’Empire Romain aurait survécu, pris au piège dans une cité assiégée, devant faire preuve de courage et d’ingéniosité pour survivre dans cet univers étranger et hostile, où ils sont considérés avec suspicion par les autochtones.

Ce qui surprend ici, c’est que Turtledove, pourtant grand maître de l’Histoire alternative, n’exploite pas toutes les ressources de l’uchronie. Il n’imagine pas vraiment de nouveau monde. Les Solters viennent du Los Angeles de la fin du XXIème siècle, mais celui-ci ressemble point pour point au nôtre. L’Empire Romain, consolidé par un Agrippa qui aurait succédé à Auguste plutôt que de mourir prématurément, a survécu, il a découvert la poudre, et ses ennemis sont les Lituaniens plutôt que les Germains. Mais ses valeurs et son mode de vie sont restés les mêmes qu’au premier siècle de notre ère.

L’Histoire n’a que faiblement divergé, et de ce fait, Gunpowder Empire pourrait presque être une classique histoire de voyage dans le temps, plutôt qu’une uchronie. D’ailleurs, à y regarder de plus près, il ressemble fortement à Household Gods un autre roman écrit quelques années plus tôt par Turtledove, en collaboration avec Judith Tarr, et qui relatait l’histoire d’une mère de famille américaine du XXème siècle, au bout du rouleau, et que les anciens dieux transportaient à sa demande dans la Rome du IIème siècle, où elle découvrait à son grand dépit que la vie n’y était pas si simple qu’elle l’espérait.

Gunpowder Empire fonctionne sur le même principe. Il n’est pas un roman d’aventure, les intrigues y sont prévisibles et linéaires. Il est plutôt un prétexte pour présenter en détail le mode de vie romain, dans un genre proche de la collection "La Vie Quotidienne" des éditions Hachette, mais en version romancée. Il est aussi une œuvre à vocation morale, où l’on compare sans cesse le mode de vie des deux époques, pour mieux conclure que la vie d’aujourd’hui est infiniment plus douce et confortable que celle d’autrefois.

Le ton de Gunpowder Empire est moins cru que celui de Household Gods, où l’héroïne se faisait violer par un soudard et où elle souffrait de ne plus avoir de tampon... Mais à part ces ajustements nécessaires, public jeune oblige, c’est la même histoire. Tout au long, Amanda et Jeremy regrettent le confort de leur Amérique d’origine, où la nourriture était plus variée, l’hygiène moins douteuse, la médecine plus efficace, les autorités moins tatillonnes et inquisitrices. Surtout, ils sont écartelés entre la nécessité de ne pas attirer l’attention, de se conformer aux normes en vigueur dans leur cité romaine, et leur fidélité aux principes moraux de leur monde d'origine. Ainsi, ils supportent mal la cruauté des indigènes, ou la persistance de l’esclavagisme et des jeux du cirque.

En bon historien, Turtledove ne blâme pas les Romains pour leur cruauté. Il montre que leurs modes de vie conditionnent leurs principes moraux, autant que le contraire, il décrit aussi le début d’acculturation qui touche ses héros, à force d’être enfermés dans ce nouveau monde. Mais parfois, à force de comparer les deux mondes à l’avantage du nôtre, Amanda et Jeremy donnent l’impression d’être de ces touristes américains incapables de faire preuve de relativisme culturel, certains de la supériorité de l’American Way of Life.

Home sweet home. Rien ne vaut son foyer. C’est pour cette morale un peu simple, c’est aussi parce que Turtledove n’exploite pas ici toutes les ressources du genre, c’est enfin parce que Gunpowder Empire est délibérément un roman facile pour les ados, qu’il n’est, ce qui n'est pas si mal, qu’une uchronie sympa à lire en été sur la plage.