Les anciens Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Nous considérons usuellement que toutes ces histoires de dieux, de héros, de titans étaient pour de bon l'arrière-plan religieux de l'Antiquité, qu'elles étaient considérées avec le même sérieux que la Bible, parole révélée de Dieu, l'a été par les Chrétiens. Mais à cette époque, prenait-on vraiment pour argent comptant ces histoires invraisemblables ? Ne les utilisait-on pas déjà, comme nous-mêmes aujourd'hui, comme des contes moraux, comme des récits édifiants, desquels tirer des enseignements sur la nature humaine ?
En lisant la question posée, on pourrait croire, spontanément, que la réponse est négative. Que non, les Grecs n'ont pas davantage cru à leurs mythes que nous-mêmes. Qu'ils les ont, sinon tous, en tout cas leur élite, leurs penseurs, leurs philosophes, considérés comme des fables. Toutefois, ce n'est pas ce que dit Paul Veyne dans son petit livre sur la question, le plus connu du grand public. Au contraire, le normalien, historien et grand intellectuel français affirme clairement que les Anciens ont bel et bien cru à ces histoires. Mais que, pour eux, la vérité n'avait pas le même sens que pour nous. Qu'ils ne distinguaient pas le vrai du faux de la même manière que nous le faisons.
L'idée d'analyser un texte à l'épreuve des faits est récente. A l'échelle de l'Histoire, c'est une innovation, presque une aberration. Cette démarche était étrangère aux Anciens. Comme le précise Paul Veyne, les Grecs ne citaient pas leurs sources, ils n'écrivaient pas de notes de bas de page. Quand ils voulaient déterminer ce qui était vrai ou non, primaient deux éléments : l'autorité de la source et la vraisemblance des propos. Ils ne mettaient pas en doute Homère, ni les mythes qui circulaient d'une génération à l'autre. Ceux-ci étaient les fondements de leur culture, la base de toute réflexion. Mais ils se permettaient parfois de les réviser au nom de la vraisemblance. Thésée, Hercule, Ulysse, n'avaient sans doute pas traversé les aventures surnaturelles racontées dans les récits, mais ils devaient avoir été de grands guerriers ou des rois puissants. Le principe même de leur existence n'était pas remis en cause.
Les Grecs, donc, n'auraient pas été programmés comme nous. La notion de vérité n'aurait pas été la même chez eux qu'à notre époque. On pourrait se contenter commodément de cette réponse, mais ce n'est pas non plus ce que nous dit l'auteur. Il précise que, aujourd'hui encore, cohabitent divers systèmes de vérités, qu'ils sont plastiques. Pour aider le lecteur à mieux comprendre la mentalité des Anciens, l'auteur cite des exemples bien contemporains : ces journalistes qui, contrairement aux historiens, continuent à ne jamais citer leurs sources, comme les auteurs de l'Antiquité, mais que l'on croit malgré tout sur parole. Même de nos jours, ce que nous considérons vrai n'est pas toujours fondé sur des faits : l'autorité, la confiance inspirée par tel média ou telle source, l'adéquation de leurs propos avec nos valeurs, continuent de primer ; nous faisons confiance à ce que nous disent les scientifiques, sans comprendre un traitre mot aux théories sur lesquelles ils fondent leurs affirmations. Nous les croyons aveuglément.
La vérité, c'est qu'il n'y a pas de vérité. En prenant cette posture nietzschéenne qui consiste à proclamer que la vérité n'est pas absolue, qu'elle est toujours subjective, Paul Veyne se met en phase avec le relativisme généralisé qui caractérise notre société, celui qui autorise tout un chacun à se positionner aujourd'hui comme expert, comme une source d'information légitime. Une telle position installe un doute permanent, une méfiance généralisée. Elle peut être qualifiée de dangereuse. C'est elle, notamment, qui alimente les théories de la conspiration dont notre temps est devenu particulièrement friand. Mais elle peut aussi être vue comme salutaire, comme responsabilisante. A vous de juger, puisqu'il semble que tout est remis à notre liberté de croire, ou pas, à tout ce qui nous est dit.
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