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RACHID SANTAKI - Les Anges s'habillent en Caillera

Policier

RACHID SANTAKI - Les Anges s'habillent en Caillera

Ce genre de livre, soyons franc, on y entre à reculons. Plusieurs détails rebutent. Il y a d’abord le titre, détournement du Diable s’habille en Prada, qui augure d’une morale plan-plan où on nous expliquerait, grosso-modo, que les voyous des cités seraient en fait de braves gars. Il y a cette préface rédigée dans un style lourd par le rappeur Oxmo Puccino. Il y a enfin cette envie affichée de vouloir donner le goût de la lecture aux jeunes de la banlieue.

RACHID SANTAKI - Les Anges s'habillent en Caillera

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Je ne sais pas, je ne les connais pas, moi, les jeunes de la banlieue. Mais veulent-ils vraiment qu’on leur renvoie en permanence l’imagerie et la mythique du 9-3, avec ces histoires de tours moches et délabrées, de violence, de règlements de compte, de zonzon, de trafic de drogue, de flics ripoux, d’opulence nouveau riche, de poufs siliconées, de boxeurs thaï et de rappeurs ratés ? N’auraient-ils pas plutôt envie d’une lecture escapiste qui leur parle de grands espaces, de science-fiction ou de super-héros, par exemple ?

Pourtant, il se laisse lire, ce deuxième livre de l’auteur franco-marocain Rachid Santaki. On se prend de passion pour les aventures et les déboires d’Ilyès, alias Le Marseillais, ce petit génie du vol de carte bleue dont il nous conte les aventures. On souhaite aller au bout de son projet de représailles quand, après un séjour en prison, il cherche à se venger de l’ancien ami qui l’a vendu.

Ce polar des cités qu'est Les Anges s’habillent en Caillera se lit bien, et pour plusieurs raisons. Le style en est la première. Il est clair, direct, concis, sans chichi, tout en phrases courtes, sans effets littéraires inutiles et superflus, mais émaillé d’argot et de verlan, de formules bien choisies en phase avec le parler des banlieues, de dialogues façon Audiard, quoique moins fleuris, moins désuets, remis au goût du jour, en somme, comme dans cet extrait :

Hervé tente de se carapater mais il se prend un pénalty dans l’estomac. Il crache du sang. Un des molosses l’attrape par les cheveux et le projette contre le mur. Hervé se fait piétiner par des semelles, taille 47. Les deux tortionnaires continuent à s’amuser. Hervé danse le smurf à coups de pompe (p. 229).

Un autre des intérêts du livre, c’est l’absence de posture morale trop appuyée, qu’elle soit pro ou anti-caillera, ou quoi que ce soit d’autres. Les protagonistes du roman ne sont pas des saints, loin de là. La plupart sont égoïstes, violents à l’occasion, et terriblement vénaux, flics tout comme délinquants. Toutefois, ils ne sont ni blâmés, ni glorifiés. Rachid Santaki se contente de décrire ses fameux anges ("gens", en verlan) en toute humanité, et avec réalisme.

Réalisme, le maître-mot de ce livre. Pour prouver que sa fiction s’appuie sur du vrai, pour rappeler que son histoire est ancrée dans la réalité, l’auteur a veillé à y insérer de véritables articles de presse, des dépêches AFP, des extraits du Figaro ou du Parisien. Le Marseillais est même censé exister pour de bon. Et à force de réalisme, on en vient à comprendre la mécanique qui anime ces personnages, et à avoir de l’empathie pour le petit délinquant Ilyès, pour Stéphane le ripoux, pour son comparse Michaël, voire pour toute la faune, Zulu Boy, Taureau, Le Muet, que Le Marseillais découvre en prison.

Il y a bel et bien une morale, cependant, dans Les Anges s’habillent en Caillera, et elle est la suivante : le crime ne paie qu’aux gros. Les frères Bensama, les vrais méchants du livre, ainsi que leurs alliés au commissariat de Saint-Denis, sont les seuls qui traversent l’histoire sans encombre, malgré des méfaits d’une horreur et d’un sadisme sans nom. Tandis que les autres, ceux de l’échelon du dessous, petits délinquants, flics véreux, balances, indics, paient tous, à divers tarifs, le prix de leurs erreurs et de leurs délits.

Le dernier atout du livre est l’intrigue. Elle sait accrocher le lecteur, Santaki sachant retenir l'attention par un habile jeu de récits croisés. D’autres histoires, en effet, se mêlent à celle du Marseillais. Celle de Stéphane le ripou, celles des caïds intouchables que sont les Bensama, celles de leurs familles. Tous ces récits convergent parfois, ils s’entrecroisent, puis ils divergent. Et si le dénouement, à la limite du Deus ex machina, se montre un peu rapide et frustrant, les 200 pages qui l’ont précédé se dévorent avec plaisir et fluidité.

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