L'ironie, avec la fantasy, est que l'une des œuvres les plus célèbres issues de ce genre, l'une de celles à s'être le mieux vendue, faisant de son auteur l'un des plus lus dans le monde, est en fait une parodie de ce style de littérature. Quand certains ont voulu marquer l'entrée de la fantasy dans l'âge adulte en dépassant ses clichés, en questionnant le manichéisme qui, à tort ou à raison, lui est souvent associé, l'Anglais Terry Pratchett, dans sa saga du Disque-Monde, a au contraire usé de sa grande plasticité pour, dans la lignée du cinéma de Mel Brooks, jouer à plein de la comédie et du burlesque.
Corgi Books / Pocket :: 1983 :: terrypratchettbooks.com
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Dès le premier volume de cette série fleuve, The Colour of Magic, l'auteur tournait en dérision plusieurs figures classiques du genre : son principal héros, Rincewind, était un magicien raté, pleutre et vénal ; les guerriers tels Bravd et Hrun étaient des barbares coriaces, bourrus et musclés, des caricatures de Conan dont l'activité routinière consistait à tuer des monstres, à sauver des princesses et à s'emparer de trésors ; le second cité était armé d'une épée démon à la Stormbringer, mais prompte au bavardage et au radotage ; et l'artéfact magique clé du livre était un coffre vivant pas commode, mais dévoué à son maître, et capable de se mouvoir sur des dizaines de pattes.
A ceux-là, Terry Pratchett ajoutait un univers inspiré de mythologies hindoues, un disque, donc, porté par quatre éléphants immenses, reposant eux-mêmes sur une tortue gigantesque en déplacement constant à travers l'espace. Et puis il y avait la Mort, mise en scène sous sa forme traditionnelle, celle d'un squelette encapuchonné et armé d'une faux, personnage secondaire mais récurrent, qui s'exprimait en lettres majuscules, parlait d'une voix caverneuse, et se montrait quelque peu soupe-au-lait. Enfin, au-dessus de tous ces gens, s'activaient quelques dieux de type olympien, jaloux, mesquins et querelleurs.
La satire ne portait cependant pas que sur ces objets littéraires ou mythologiques. A plusieurs reprises, Pratchett s'attaquait aussi à quelques faits de notre temps, le tourisme, par exemple, le second personnage principal après Rincewind, Twoflower, étant précisément un voyageur, armé de son appareil photo. On y reconnaissait le vacancier occidental d'aujourd'hui, avide d'un exotisme fantasmé qu'il vient chercher avec maladresse et naïveté, sans les comprendre, dans des sociétés moins développées que la sienne.
Dans sa vie professionnelle, Twoflower est agent d'assurance. Cette profession se voyait donc elle aussi brocardée, quand le touriste cherchait à expliquer les ressorts de son métier aux natifs des sociétés médiévales qu'il avait entrepris d'explorer. Un peu plus tard dans le livre, il était également question de conquête spatiale, indirectement. Et pendant quelques pages, on allait retrouver nos héros embarqués, par le truchement d'une sorte de faille spatio-temporelle, sur un vol de la TWA en pleine prise d'otage…
Le comble, avec ce roman où tout n'est que pastiche et excentricité, c'est qu'on se laisse embarquer par les aventures picaresques de nos deux antihéros, par chacune des histoires que conte le livre : d'abord, l'arrivée de Twoflower a Ankh-Morpork et sa rencontre avec Rincewind, avec tout le cocasse qui nait de la confrontation de deux mondes ; ensuite, leur emprisonnement dans le temple de Bel-Shamharoth ; leur arrivée auprès d'une montagne inversée, peuplée par les derniers dragonniers du Disque-Monde ; et puis, pour finir, leur échouage au bord de ce dernier, à l'endroit même où la mer se jette dans le vide, en direction de la grande tortue A'Tuin.
A chaque fois, c'est drôle, c'est léger et c'est bien senti. Et si en vérité, The Colour of Magic n'a rien des qualités immersives qui sont le grand atout de la fantasy, sa valeur ajoutée, il en a bien d'autres, en termes d'humour, d'imagination et de satire, qui font bien davantge que combler ce manque.