The Walt Disney Studios :: 2015 :: acheter le DVD

Ne jouons pas au malin trop loingtemps : oui, bien sûr, la première trilogie est supérieure à son préquel. Le premier volet, intitulé a posteriori Un Nouvel Espoir, est un joli conte, si simple et si fluide qu'il en serait banal, s'il n'avait pas regorgé d'innovations formelles qui allaient transformer l'industrie du cinéma, ses formats, ses stratégies esthétiques et commerciales. Quant au second volet, L'Empire Contre-attaque, il est tout bonnement un chef d'œuvre.

Aux innovations du premier, qu'il reprend et développe avec plus de moyens, il en ajoute d'autres. La narration est originale, le film n'ayant ni début ni fin. Effaçant le caractère un peu niais du volet précédent, il est aussi d'une grande force dramaturgique, il prend des accents shakespeariens, avec bien sûr ce rebondissement, le plus célèbre de l'histoire du cinéma, qu'est la révélation à Luke sur sa paternité, mais aussi l'amour chaotique entre Leia et Han Solo, et l'apparition de ce grand guerrier à l'apparence improbable qu'est Yoda.

Tout cela est connu, et a été maintes fois célébré. On parle bien sûr de Star Wars, le plus énorme mastodonte du cinéma, son œuvre la plus commentée et décortiquée. Mais il faut savoir être juste et nuancé, et souligner tout ce qui était perfectible dans cette première trilogie. Révolutionnaires à l'époque, les effets spéciaux ont mal vieilli ; par exemple, il est aujourd'hui risible d'observer tous ces aliens en plastique qui peuplent l'univers des films. Aussi, si la simplicité de l'histoire est sa force, si elle est ce qui rend le film universel, elle est également sa faiblesse. Et surtout, pire encore, sa fin s'avère ratée.

Le Retour du Jedi, en effet, n'est pas un très bon film. La confrontation finale de Luke avec son père et l'empereur ne remplit pas ses promesses. Les personnages n'ont plus aucune épaisseur. Han Solo et Lando Calrissian, en particulier, deviennent des gentils banals, ils perdent leurs aspérités d'anciens voyous. La promesse faite par Yoda dans L'Empire Contre-Attaque, qu'il y aurait un autre espoir que Luke, aboutit à cette révélation de trop, qui n'apporte rien à l'intrigue, selon laquelle Leia serait elle aussi la fille de Darth Vader (désolé, il ne sera jamais question ici de "Dark Vador", cette version française grotesque du nom du plus grand méchant de l'histoire du cinéma).

Ce nouveau coup de théâtre sentait déjà le réchauffé et le manque d'inspiration, et il en était de même pour la construction d'une nouvelle Etoile de la Mort. Ce bien faible Retour du Jedi abandonnait en fait tous les acquis du second volet pour revenir à la nature plus enfantine du tout premier, incarnée cette fois par ces gentils nounours en peluche que seront les Ewoks. Ceux-ci auront même droit plus tard à leur propre film, L'Aventure des Ewoks, ouvertement destiné aux tout-petits, et aujourd'hui fort heureusement oublié.

Ce retour à une cible plus jeune, cette conquête perpétuelle de nouvelles générations, sera aussi la stratégie de George Lucas avec la seconde trilogie, en tout cas son premier volet, La Menace Fantôme. Dans cet épisode, les Ewoks sont remplacés par Jar Jar Binks, le personnage honni, la faute irréparable de George Lucas. Ce film sera pourtant plus fidèle à l'esprit originel de Star Wars qu'on a pu le dire. Ce qu'attendaient les fans, en fait, c'était une version adulte du film qui avait enchanté leur jeunesse, comme L'Empire Contre-Attaque l'avait déjà été. Mais Lucas avait d'autres visées.

La Menace Fantôme, il est vrai, aura bien d'autres défauts que Jar Jar Binks. L'explication génétique du concept de Force, via les midi-chloriens, l'enfantement de Shmi Skywalker par l'opération du Saint Esprit (non, par celle des mêmes midi-chloriens)… Tout cela est stupide. Et si quelques errements seront corrigés avec les deux autres épisodes, plus convaincants, des failles subsisteront. L'histoire d'amour entre Anakin et Padmé sera fleur bleue, bien loin de la relation plus truculente qu'avait été celle de leur fille Leia avec Han Solo. Le basculement de Darth Vader du Côté Obscur de la Force est trop rapide pour être satisfaisant. On atteint même des sommets de ridicule quand ce dernier se fâche tout rouge, après avoir appris la mort de son aimée.

Tout, dans cette seconde trilogie, n'était pourtant pas à jeter. Outre des effets spéciaux modernisés par la technique des images de synthèse (qui ne seront pas toujours une bonne chose, celles-ci vieillissant aussi, et menant parfois à une surcharge graphique), les épisodes I à III ont apporté de nouveaux éléments à la saga Star Wars. Ils ont d'abord poussé les meubles et étendu l'univers. Ils ont aussi introduit une dimension politique (les manœuvres du chancelier Palpatine pour conquérir le pouvoir, sa façon de jouer dans deux camps à la fois, ce parcours d'une démocratie qui s'abandonne d'elle-même à la dictature) dont la très manichéenne première série était presque dépourvue.

La seconde trilogie contient aussi ses moments d'anthologie. Les combats, généralement, y sont majestueux, et d'une forte teneur dramatique, y compris celui entre Obiwan, Qui-Gon Jinn et Darth Maul dans La Menace Fantôme, sans doute le meilleur moment de ce film exécré. Même chose pour les nombreux tourments que traverse Anakin, qui peuvent être poignants.

Voilà donc, en résumé, le verdict qu'un regard plus équilibré sur Star Wars aurait dû énoncer : 1 – la première trilogie est supérieure à la seconde ; 2 – mais elle n'est pas irréprochable ; 3 – et tout n'était pas à jeter dans le préquel. Le Réveil de la Force, cependant, n'a retenu que le premier terme de celui-ci. D'où, sans doute, ce qui sont aujourd'hui ses deux gros défauts.

La première de ces limites, c'est que ce nouvel épisode sent le réchauffé. Non seulement joue-t-il de la nostalgie, théâtralisant l'apparition des héros de la trilogie originelle, mais il en calque aussi de nombreux éléments. La Rébellion et l'Empire reprennent leur lutte presque telle quelle, sous les noms de Résistance et de Premier Ordre. L'Empereur est mort, mais il a un remplaçant aussi méchant et encore plus moche. Darth Vader non plus, n'a pas survécu, mais il a un petit-fils qui marche sur ses pas, du Côté Obscur de la Force.

Tous ces méchants courent à nouveau après un plan, caché une fois encore dans un robot. Han Solo est redevenu un contrebandier, en prise avec ses débiteurs. Il fait une halte dans une Cour des Miracles interstellaire remplie d'aliens bizarres, sur le mode Cantina. Le héros est désormais une héroïne, mais c'est encore un orphelin abandonné sur une planète désertique, et qui se découvre sensible à la Force. Elle est prise sous son aile par une vieille légende, qui est tuée à la fin, à la manière d'Obiwan Kenobi. Et elle partira en quête d'un vieux maître Jedi, non plus Yoda, mais Luke Skywalker lui-même.

Et puis il y a le pire du pire, l'impardonnable : la création d'une nouvelle Etoile de la Mort, encore plus grosse (elle a la taille d'une planète) et destructrice (elle peut anéantir d'un coup plusieurs astres) que les précédentes, et qui sera détruite à peu près de la même façon, via un point faible auquel ces crétins de l'Empire (pardon, du Premier Ordre), qui ont décidément du mal à retenir la leçon, n'auront pas pensé à protéger suffisamment. L'une des déceptions du Retour du Jedi, déjà, avait été cette redite qu'était cette nouvelle attaque contre une deuxième Etoile de la Mort. Et voilà donc qu'on nous refait le coup une fois encore. Non, trois fois non. Ce n'est pas possible. On sature.

Le premier défaut, donc, est que J. J. Abrams a voulu multiplier les allusions à la première trilogie. Le second, c'est qu'en tournant le dos au préquel, il a jeté le bébé avec l'eau du bain. L'arrière-plan politique, qui avait été l'apport à la série des épisodes I à III, a totalement disparu. Le propos est maintenant rencentré sur un petit groupe de héros, en gros la famille des Skywalker (puisqu'il est fort probable que Rey, l'héroïne, en fasse elle aussi partie), et le contexte se résume à l'affrontement de deux armées rivales, les gentils résistants, et les nazillons du Premier Ordre. Avec Le Reveil de la Force, Star Wars c'est toujours du cinéma d'action, mais ça n'est aussi plus que ça.

Ce qui nous amène à la critique la plus facile, celle pointée très vite par les rares spectateurs déçus par ce nouveau volet : Star Wars souffrirait maintenant de son affiliation à Disney. Ces procès en disneyisation sont, en fait, aussi prévisibles qu'injustes, et cela pour deux raisons : primo, Star Wars a toujours eu la même stratégie que Disney, s'orienter exclusivement vers le divertissement et l'escapisme, et faire fructifier la marque par maints produits dérivés ; secundo, après avoir commis l'abomination Jar Jar Binks, quoiqu'on décide d'entreprendre, on peut difficilement faire plus horriblement Disney.

Mickey, pourtant, pointe bel et bien son vilain nez. Si le début du film est assez réussi, il prend un méchant tour quand Finn et Rey rencontrent Han Solo. D'abord, il y a cette course poursuite avec les débiteurs de ce dernier. Et ensuite, pire encore, cette mamie millénaire qui a récupéré, on ne sait trop comment, le sabre d'Anakin, que Luke avait perdu dans la Cité des Nuages. Avec ce personnage, avec cet épisode où Rey, appelée par le sabre, sombre dans les souvenirs et les hallucinations, on se croirait propulsés dans un dessin-animé de seconde zone. Même chose quand intervient le grand schnock – euh, Snoke – qui gouverne le Premier Ordre. Avec son hologramme, on est comme projetés en plein cœur d'un mauvais comic book, ou dans l'un des pires moments de l'horrible adaptation cinéma du Hobbit.

Aussi, à force de se concentrer sur l'action et de dérouler son récit à tambour battant, J. J. Abrams en vient à gâcher ses effets. Dans presque tous les épisodes précédents de Star Wars, même les ratés, George Lucas avait su trouver le bon rythme. L'Empire Contre-attaque, notamment, était fait de moments plus longs, plus calmes, qui faisaient monter l'angoisse et jouaient du crescendo. Même L'Attaque des Clones et La Revanche des Siths en ont été capables. Le Réveil de la Force, au contraire, va bien trop vite, et les scènes clés, ces rebondissements qui devraient marquer à jamais la série, n'ont pas l'intensité qu'ils devraient. Le parricide final est une bonne idée, il était même nécessaire, mais il est moins saisissant que la révélation à Luke de sa filiation, et même que la conversion de son père au Côté Obscur.

Ce Star Wars VII, pourtant, contient des réussites, et il corrige les plus gros défauts de la trilogie précédente. La limitation des images de synthèse était un bon choix, qui apporte au film de l'épure. Fort opportunément, et même s'il a colorisé l'univers du film original (autrefois blancs et noirs, les vaisseaux sont désormais rouges et bleus), J. J. Abrams laisse de côté les tableaux surchargés qui avaient dominé les épisodes récents. Il atteint aussi une certaine majesté dans les combats spatiaux, surtout quand ceux-ci, qui prennent le plus souvent place dans l'atmosphère, ne sont plus vraiment spatiaux. L'intrigue connaît aussi quelques rebondissements intéressants, quand on découvre que le nouveau Jedi de la trilogie n'était pas celui qu'annonçait l'affiche. Bien joué, aussi, avec cette fin en cliffhanger, qui donne envie de savoir la suite, quand bien même on aurait été déçu par cet épisode.

La plupart des nouveaux personnages, aussi, sont prometteurs. Finn, en plus d'avoir l'originalité d'être noir, et d'être un Stormtrooper déserteur, est assez attachant, avec son mélange de bravoure et de couardise. Ce n'est plus le chevalier sans peur et sans reproche qu'était le terne Luke. Rey poursuit avec bonheur la tradition des jeunes femmes brunes piquantes et courageuses entamée avec Leia et poursuivie avec Padmé. Et le robot BB-8, qu'on craignait de voir calqué sur R2-D2, ne l'est pas, et se montre plutôt craquant.

Et puis il y a Kylo Ren, le fils renégat d'Han Solo et de Leia, qui nous apporte une figure assez neuve dans l'univers Star Wars, bien qu'esquissée avec Darth Vader : celle du méchant qui doute. On le voit ainsi cacher ses failles derrière une dureté extrême, ou piquer une crise de nerf quand un officier lui annonce un échec, là où son grand-père se serait contenté, dans une sourde colère, d'étrangler le messager. Ce personnage de méchant pathétique entretient aussi une relation ambiguë avec un autre vilain, le très discipliné général Hux, son contraire en somme, son allié autant que son concurrent.

Le Reveil de la Force corrige donc les limites des volets précédents, il leur apporte des améliorations. Mais leur potentiel est gâché par ces limites que sont ses redites et son manque criant d'intensité. A force de vouloir retrouver l'esprit de la saga originale, J. J. Abrams a écarté les acquis de la seconde trilogie, comme ceux du cinéma hollywoodien de ces dernières années. Il devait nous faire oublier le préquel, mais il nous le fait presque regretter. En fait, si George Lucas avait cruellement déçu les fans avec la seconde trilogie, il avait au moins eu raison d'aller à leur encontre. Il ne faut jamais, ô grand jamais écouter les fans. Il faut à l'inverse les défier, les choquer, les surprendre. Soit tout le contraire de ce qu'ont entrepris Disney et J. J. Abrams.

Malgré ces limites, Le Réveil de la Force semble avoir rencontré un écho favorable. Ce n'est seulement que maintenant, quelques temps après sa sortie, que l'on commence à voir paraître ici ou là des avis plus nuancés. Mais si l'on a bonne mémoire, on se souviendra être déjà passés par là, avec les films de la seconde trilogie. Si La Menace Fantôme a été une douche froide pour tous, on a déjà vu, en 2002 et en 2005, bien des gens proclamer, comme aujourd'hui, que les épisodes II et III avaient été les meilleurs depuis L'Empire Contre-Attaque. A cause de ce film là, le plus puissant, du fait du retentissement incroyable du début de la saga et de son statut de mythe moderne et planétaire, on a en fait envie d'y croire. On a toujours envie d'y croire. Aussi irons-nous voir Star Wars encore et encore, envers et contre tout. Aussi attendrons-nous avec impatience l'épisode VIII, avec toujours le même (nouvel) espoir de combler des attentes perpétuellement déçues.