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Le courant zen, la cérémonie du thé, le bushido (le code guerrier des samouraïs), les ninjas, etc. Tout ce qui, dans l'imaginaire occidental, est synonyme du Japon, n'est pas issu de traditions millénaires. Tout cela est apparu en fait dans cette période troublée, dans cette parenthèse agitée entre deux périodes de centralisation, qui perturba l'archipel pendant quelques siècles. Et c'est tout cela, ce renversement des hiérarchies antiques en faveur d'une classe guerrière composite et agitée (l'ouvrage n'est pas sous-titré sans raison Le Monde à l'Envers), que Pierre-François Souyri (le fils du sinologue Pierre Souyri), s'est employé à relater, d'une manière lisible, bien écrite et didactique, mais avec une profusion de détails qui égarera le néophyte.

L'historien, cependant, se livre à une réflexion qui pourra davantage intéresser ce même néophyte. En introduction comme en conclusion, il se pose la question suivante : est-il légitime de présenter cette période remuante comme le Moyen-Âge du Japon ? Y a-t-il parenté entre cette époque intermédiaire, et ce que l'Europe a connu à peu près (mais pas tout à fait) au même moment. Les points communs, en effet, sont nombreux. Féodalisation des rapports de pouvoir, morcellement du territoire, irruption d'une société guerrière fondée sur des rituels et codes précis (ceux de la chevalerie, ceux des samouraïs), existence d'un pouvoir spirituel faible mais commun (le pape, l'empereur), rôle structurant joué par défaut par un clergé (chrétien, bouddhiste) capable à l'occasion de prendre les armes : tous ces points ont rapproché ces deux sociétés. Et en Asie, ils sont pour une bonne part spécifiques au seul Japon.

Pierre-François Souyri, toutefois, souligne à quel point ce rapprochement a été idéologique. Il n'a pas été fait sans intérêt, ni arrière-pensée. Dès l'arrivée des explorateurs portugais au XVIème siècle, des moines l'ont fait afin de convaincre leur Eglise que ce pays serait propice à l'évangélisation. Cette comparaison a été reprise par Marx et ses disciples, tant elle convenait à leur lecture hégélienne de l'histoire (celle-ci aurait un but, atteint après être passé par plusieurs étapes obligées). Et pendant la période coloniale, cette parenté entre l'Europe et le Japon a été rappelée par des nationalistes nippons, qui voulaient légitimer ainsi leur place dans la domination occidentale du monde. L'auteur, cependant, précise qu'une historiographie plus contemporaine et moins euro-centrée a nuancé ce propos : elle a démontré qu'il y avait davantage de différences que de similitudes entre ces deux Moyens-Âges ; elle a rappelé aussi qu'en Europe même, le modèle féodal médiéval ne s'est pas appliqué partout comme on l'a cru, que ses modalités ont été différentes.

Il manque cependant une étape supplémentaire à la réflexion de Souyri. Il conclut son propos sur un bilan partagé : les sociétés médiévales japonaise et occidentale ont eu des points communs, mais aussi de nombreuses différences. Toutefois, il ne précise pas sa philosophie de l'histoire, il n'apporte pas de réponse aux questions fondamentales, les suivantes : cette similitude explique-t-elle, comme on l'a longtemps cru, le développement précoce du Japon ? A-t-elle permis à ce pays éloigné de s'imposer comme pair des sociétés occidentales, à l'époque où elles tenaient tous les basanés pour inférieurs ? En d'autres termes, l'histoire a-t-elle un sens, suit-elle des modèles, ou se déroule-t-elle de manière purement anarchique et aléatoire ? Descriptive, événementielle, plus que philosophique, cette Histoire du Japon Médiéval, pourtant fouillée et érudite, ne va pas au bout de ces interrogations.