C'est avec un brin d’appréhension qu'on allait voir le dernier Star Wars, compte-tenu du désastreux épisode précédent, un épisode VII à placer dans la même corbeille que le I, celle des ratés de la saga. Ou plutôt, on s’y rendait avec indifférence, sans enthousiasme ni illusion, avec tout juste une garantie que, si le scénario n’était pas au rendez-vous, le spectacle visuel y serait, lui, et qu’on ne s’y ennuierait pas. C’est donc presque avec apathie que l’on a regardé une nouvelle fois ces lettres jaunes se déplacer sur un fond étoilé, et ces vaisseaux apparaître dans le bruit et dans la fureur. Puis tout à coup, dans une scène qui commençait là où le film précédent s'était achevé, Luke jeta négligemment son sabre-laser par-dessus son épaule. Et là, tout bascula.

RIAN JOHNSON - Star Wars VIII - The Last Jedi

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Alors que l’épisode d'avant s’était employé à renouer avec les premières manifestations de Star Wars, alors qu’il empestait à plein nez le réchauffé, la nostalgie et le clin d’œil, celui-ci semble avoir voulu faire le contraire : il bouscule les routines de la franchise. Oh, certes, certains passages sont encore des réminiscences de la première trilogie : ces Rebelles (maintenant Résistants) aux abois, délogés de leur base par l’Empire (dorénavant le Premier Ordre) et poursuivis à travers la galaxie par des ennemis vindicatifs, évoquent L’Empire Contre-Attaque ; cette rencontre entre la gentille Rey, le méchant Snoke et un Kylo Ren déchiré, est une réplique de celle entre Luke, l’Empereur et Darth Vader dans Le Retour du Jedi. Mais c’est à peu près tout.

On s’attendait à voir Rey suivre auprès de Luke une formation parallèle à celle que Yoda avait prodiguée à ce dernier ; mais ici, c’est l’élève qui fait évoluer le maître, plutôt que le contraire. On pensait que Snoke, ce méchant moche sorti de nulle part, allait occuper durablement le fauteuil de l’Empereur, et nous durer comme lui jusqu’à la fin de la trilogie ; que nenni, il est expédié en deux temps trois mouvements. On spéculait que Kylo Ren allait suivre le même chemin que son grand-père, et rebasculer du bon côté ; mais non, là encore, c’est raté. Quant au secret de la naissance de Rey, il est éventé en un rien de temps : celle que l’on imaginait déjà être une Skywalker, du fait de sa puissance innée, n’est en fait que la fille de pillards quelconques et anonymes.

Avec le même systématisme que celui employé par Le Réveil de la Force pour restaurer les vieilles recettes et les situations cultes des premier Star Wars, celui-ci les détruit. Alors que Luke balance son sabre par terre (plus tard, cette relique héritée de son père est même brisée), Kylo Ren défonce son masque pendant l’une de ces crises de nerf auquel il semble sujet. Un peu plus tard, il nous est dit que les Jedi doivent disparaître, et pour joindre le geste à la parole, le fantôme de Maître Yoda, qui est censé être le gardien de cette tradition (mais qui retrouve ici sa nature facétieuse de L’Empire Contre-Attaque), brûle les livres sacrés de son ordre. Même ce vieil amiral Ackbar a disparu, ayant été envoyé se perdre dans le froid glacé de l’espace sidéral. Il n’y a guère que le Faucon Millenium, décisif et vaillant comme jamais, qui survit à cette purge implacable menée par le réalisateur Rian Johnson.

Ce contrepied prend aussi d’autres formes : alors que dans Star Wars, en temps normal, la témérité des héros est récompensée, alors que leurs instincts ne les trahissent jamais et qu’ils s’affranchissent à raison des ordres de leurs supérieurs (jusqu’au récent spin-off Rogue One), celui-ci les montre constamment en situation d’échec. L’indiscipline héroïque de Poe Dameron provoque la mort inutile de plusieurs pilotes, et il manque de gâcher le plan de fuite de la Rébellion. L’initiative de Finn pour pénétrer sur l'appareil ennemi est un fiasco, c’est même à cause de lui que sont repérés les vaisseaux grâce auxquels la Résistance comptait échapper aux griffes du Premier Ordre. Et plus tard, le même tente un sacrifice qui n’aurait pas servi à grand-chose.

Ces deux-là sont censés être les héros masculins de la nouvelle trilogie, mais ils n’héritent pas des meilleurs rôles. Les hommes, dans Les Derniers Jedi, sont des losers. C’est vrai de Poe et de Finn, ça l’est aussi du caractériel Kylo Ren, ça l’est encore de son oncle Luke. Même s’il se rachète à la fin, il a piteusement échoué dans sa tentative de restaurer l’ordre Jedi, et il se montre pathétiquement soupe-au-lait dans ses vieux jours. En contrepoint, les personnages féminins sont présentés sous un jour avantageux : Rey est la grande héroïne de la trilogie, la générale Leia Organa fait les bons choix, de même que la vice-amirale Holdo, qui de plus commet un sacrifice grandiose (et utile, celui-ci). Représentant les communautés de façon plus équilibrée (après Finn, premier personnage noir de tout premier plan dans Star Wars, voici donc Rose Tico, en complément des héros asiatiques déjà mis en scène dans Rogue One), la franchise s’attache à faire de même entre les sexes.

Cependant, certains choses ne changent pas avec Star Wars, pour le meilleur comme pour le pire. Côté positif, comme attendu, celui-ci est plus que jamais un grand spectacle visuel, avec de somptueuses batailles spatiales, et une autre, sur la planète Crait, qui joue joliment des contrastes entre les couleurs rouge et blanche. Côté négatif, l'histoire est brouillonne, elle est trop rapide. Exactement comme avec Le Réveil de la Force, il manque l’intensité dramatique qui faisait la force des épisodes les plus tragiques de la saga, L'Empire Contre-Attaque et La Revanche des Sith. L’action et l’humour, plus présents que jamais, diluent ces grands moments que devraient être le dialogue entre Rey et Kylo Ren, la confrontation avec Snoke ou la fin de Luke.

Mais grosso modo, Les Derniers Jedi nous prend à contrepied. La preuve, c'est que jamais aucun épisode de Star Wars n’avait autant divisé ses spectateurs. Il a ouvert un gouffre béant entre les fans les plus acharnés, ceux qui hurlent à la trahison et demandent même, pour certains, à retirer cette édition du canon, et une critique cinéma agréablement surprise de voir le mythe écorné. La vérité, bien sûr, est entre les deux. Avec cet objet bizarre qu’est Les Derniers Jedi, nous avons évité l’infâme resucée que Le Réveil de la Force nous avait servie. Le terrain a été dégagé pour faire de Star Wars quelque chose de neuf. Mais sera-ce pour autant quelque chose de grand ?

Pas nécessairement, et pas dès cet épisode VIII, qui ressemble à un film de super-héros (l'humour et l'autodérision, l'action débridée, le spectacle permanent) transplanté dans l'univers de Lucas. Et le retour de J. J. Abrams pour le prochain volet n’augure rien de bon, pas plus que ces théories nauséabondes qui circulent et qui nous laissent entendre que, non, Rey ne serait pas la fille d’inconnus, ou que, non, le Leader Suprême Snoke ne serait pas mort. Avec The Last Jedi, nous avons été débarrassé de tout ce qui n'allait plus dans le Star Wars de l'ère Disney, mais le plus dur reste à faire.

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