Avec ce récit, le quatrième à prendre place dans le Monde du Disque, Terry Pratchett centrait l'action sur l'un de ses personnages secondaires récurrents : la Mort. Après être apparue ici et là au cours des tomes précédents, la grande faucheuse occupait dorénavant le premier plan, et les page se noircissaient de ses propos tenus en LETTRES CAPITALES. Cependant, contrairement à ce que le laissait entendre le titre, le morbide squelette n'était pas le héros du livre. Celui-ci était en fait Mortimer, appelé plus communément Mort, un jeune garçon ingénu dont la Mort, la vraie, Death en VO, avait fait son apprenti.

TERRY PRATCHETT – Mort

Corgi Books / Pocket :: 1987 :: terrypratchettbooks.com
acheter ce livre en VO :: acheter ce livre en VF

Avec Mort, en effet, comme avec un Equal Rites publié la même année, Terry Pratchett adoptait le format traditionnel (et répandu en littérature de type fantasy) du roman d'apprentissage. L'humour, la farce, la satire, l'absurde, la parodie, le comique de situation, les digressions et des comparaisons inopinées avec notre propre monde, formaient plus que jamais l'essentiel du propos. Le thème principal (on parle bien entendu de la mort), s'y prêtait d'ailleurs très bien. Mais avec ce livre, contrairement aux deux premiers, Pratchett cessait de dérouler une suite farfelue de situations cocasses. On y découvrait, plus ou moins, une histoire de format classique, avec une intrigue, un objectif (sauver la princesse), un triangle amoureux (entre Mort, Keli et Ysabell), une épique confrontation finale (entre Mort et Death), une happy end, et une morale : l'éternité, c'est ennuyeux, c'est loin d'être la panacée.

L'auteur, avant tout, nous relate un parcours initiatique, celui d'un garçon dont ni lui, ni son père, ne savent à quoi le destiner. Comme avec une histoire de super-héros (l'ironie et les démystifications de Pratchett en plus), on y découvre un jeune homme quelconque et insignifiant confronté tout à coup aux grandes responsabilités induites par de grands pouvoirs : celui de donner la mort, mais aussi ceux de sortir du temps, de changer l'histoire, de passer à travers les murs et de traverser le monde sur un cheval volant supersonique. Petit à petit, Mortimer se transforme, il devient la Mort, au point d'hériter de ses caractéristiques (lui aussi, finit par parler en lettres capitales, par être inflexible, par glacer le sang de ses interlocuteurs et par avoir des yeux rouges et brillants). Et il doit décider s'il s'agit là ou non de la vie qu'il désire.

L'histoire en est presque banale. Mais en contrepoint du parcours de Mortimer, Pratchett raconte aussi celui, parallèle et contraire, de Death. Pendant que son apprenti assure l'intérim, avec plus ou moins de succès, la Mort traverse en effet une sorte de crise de la quarantaine (ou plutôt, une crise de l'éternité...). Il se penche sur le sens de son existence. Il cherche à comprendre les vivants, il tente d'en connaître les plaisirs, et il s'interroge sur sa vocation. A tel point qu'il décide finalement d'en changer, et qu'il se fait embaucher quelques temps comme cuistot. Et ces moments, ceux dont l'acteur majeur est la Mort, plutôt que Mortimer, sont les plus jouissifs du livre.

Ce sont les scènes dont il est le centre, par exemple celle où, invoqué par une assemblée de mages, Death apparait un chaton dans la main et un tablier de cuisine autour du corps (ou plutôt, du squelette…), qui sont les plus mémorables, et de loin. Mortimer, Ysabell (la fille adoptive de la Mort), Keli (une princesse irascible), Cutwell (un jeune mage à moitié raté) et Albert (l'assistant de la Mort, en fait un mage légendaire retiré du monde), qui sont les autres protagonistes majeurs de cette histoire, ont leurs moments. Mais le vrai héros de Mort, c'est le terrifiant et le mélancolique Death. Ce sont ses apparitions, ses observations et ses interventions qui apportent au récit ce à quoi Pratchett excelle, ce pour quoi il a gagné sa place très à part dans le panthéon de la fantasy : l'humour, la dérision et les traits d'esprit bien sentis.