Avant d'avoir été un auteur de fantasy, David Anthony Durham a donné dans le roman historique. Cet homme d'origine caribéenne s'est d'abord penché sur le destin des Afro-Américains pendant la Conquête de l'Ouest et la Guerre de Sécession, avant de se consacrer à un temps plus ancien, celui des Guerres Puniques. Fort logiquement, donc, la trilogie par laquelle il a fait son entrée dans les littératures de l'imaginaire, Acacia (dont The War with the Mein est le premier volet), est elle-même imprégnée de considérations politiques et de culture historique, conformément à une tendance de fond en fantasy. Ce qui lui a valu d'ailleurs des comparaisons élogieuses avec A Song of Ice and Fire.
Doubleday / Pocket :: 2007 / 2010
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Ces comparaisons sont fondées. L'œuvre de Durham a de nombreux points communs avec celle de Martin. Comme elle, elle nous raconte la fin de l'innocence. Elle est un roman d'apprentissage, qui relate le parcours parallèle des différents membres d'une même fratrie, auxquels on a brutalement enlevé le père. The War with the Mein, en effet, débute avec le meurtre de Leodan Akaran, souverain du monde connu, et par la dispersion en différents endroits de ses quatre rejetons. Eloignés les uns des autres, chacun d'eux développera des compétences distinctes, qui s'avèreront complémentaires quand sonnera enfin l'heure de la vengeance et de la reconquête du trône.
Comme chez l'autre, aussi, l'histoire est racontée via plusieurs points de vue. Se succédant à une vitesse rapide (une fois passé un début plus poussif), ces récits subjectifs et concurrents permettent de mieux comprendre les motivations de chaque camp. Ils autorisent quelques nuances et développements psychologiques. Même si les protagonistes sont relativement stéréotypés, ils ne se placent pas si aisément sur l'axe du bien et du mal. Aliver Akaran, l'héritier du trône, est montré dans sa première incarnation (il s'amendera plus tard) comme un garçon frustré et impatient. Son père Leodan est un homme bon, mais il maudit sa faiblesse, et noie une mélancolie noire dans une addiction à la drogue. A l'inverse, leur ennemi et conquérant Hanish Mein suscite l'empathie quand il se dévoile en homme étouffé par le devoir et par le poids du passé, à qui il est interdit de vivre une histoire d'amour sincère. Quant à Rialus Neptos et à Thaddeus Clegg, ce sont des personnages secondaires aux allégeances parfois troubles, changeantes et ambiguës.
Enfin, de façon encore plus accentuée que chez Martin, The War with the Mein oppose la realpolitik à l'idéalisme. L'empire que la fratrie s'emploie à restaurer n'est pas la victime innocente d'une guerre perdue. Il repose en fait sur trois crimes : un esclavage massif, le commerce d'enfants et la soumission de ses sujets à une drogue puissante. Le retour au pouvoir des Akaran devra passer par la compromission, le retournement d'alliance, et même un passage dans le lit de l'ennemi. La victoire ne se soldera ni par un retour au statu quo, ni par l'avènement d'une société parfaite, comme y aspire Aliver. Elle sera le stade ultérieur du monde bâti par les Mein, les adversaires des Akaran.
Cette opposition entre idéalisme et realpolitik prend corps jusque dans le récit. Dans la dernière partie de The War with the Mein, en effet, deux histoires se font concurrence : celle d'Aliver, héros immaculé et bien intentionné, qui prend la forme parfois ennuyeuse et mélodramatique d'une quête juste et magnifique, dans la lignée d'une fantasy plus classique et plus enfantine ; et celle de Corinn, sa sœur, détenue par ses ennemis à Acacia, le siège du pouvoir, qui apprendra plus vite que les autres les ficelles de la politique, et à se passer de scrupules. Et entre les deux, partageant le chemin et les idéaux d'Aliver, mais se montrant plus perspicace, figure la seconde sœur, Mena. Car comme le dit Hanish Mein à la fin du livre, il aura eu tort de se méfier des fils Akaran : ce seront les filles, les plus dangereuses de la dynastie déchue.
Le monde que nous décrit Durham est parfaitement représenté par l'acacia, l'arbre qui a donné son nom à l'île et au peuple des Akaran. Il est résistant, il est vivace. Comme Hanish Mein lui-même le constate quand il entreprend d'en abattre tous les spécimens, ses racines sont profondes, et il repousse toujours. Il représente ainsi la dynastie abattue, qui peut renaitre malgré le meurtre de Leodan Akaran et une guerre vite perdue. Mais il symbolise aussi la difficulté que tous, Mein et Akaran, rencontrent à bâtir un nouveau monde sur d'autres racines que celles qui existaient déjà, fussent-elles tourmentées.