Progressivement, The Expanse a fait son trou. Petit à petit, la série réalisée par Mark Fergus et Hawk Ostby (connus pour leur travail pour Les Fils de L'Homme et Iron Man) s'est imposée comme la meilleure depuis Battlestar Galactica, en matière de science-fiction à la mode space opera. On l'a réalisé surtout quand, en 2018, elle a été abandonnée par la chaîne Syfy après la troisième saison, avant de faire son retour par le biais du service de streaming vidéo d'Amazon. C'est alors, et au moment du lancement de cette quatrième suite en décembre dernier, après plus d'une année d'attente, que l'on s'est aperçu qu'elle avait conquis un public passionné, et que les critiques tièdes de la première saison avaient laissé place aux éloges, offrant aux films une aura et une reconnaissance plus grandes que celles des livres originaux de James S. A. Corey (le pseudo commun des auteurs Daniel Abraham et Ty Franck).
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Quand une œuvre avance ainsi, lentement mais sûrement, vers une certaine forme de reconnaissance, c'est souvent un vrai gage de qualité. Et The Expanse, en effet, présente de multiples intérêts. Le moins évident, le plus problématique, a trait à ses personnages. Certes, contrairement à ce que certains ont pu dire, ils ne sont pas tout à fait des stéréotypes. James Holden, le héros, est ce qui s'en rapproche le plus, qui se sent investi d'une mission et se tient prêt à sauver le monde à tout bout de champ. Mais sa compagne, l'ingénieure Naomi Nagata, le pilote Alex Kamal et la brute Amos Burton, ne rentrent pas si aisément dans de telles cases. Tous, en tout cas, ont en commun d'avoir un passé lourd et compliqué, qui leur vaut de se rencontrer au sein d'un équipage peu regardant sur le passé de ses membres, celui du vaisseau Canterbury (le clin d'oeil aux Contes de Canterbury est évident). Cependant, tout ambigus qu'ils soient (Naomi a un passé terroriste, Alex abandonne sa famille pour courir le système solaire, Amos a eu des liens avec le crime organisé), les quatre protagonistes se montrent un peu falots.
Les plus attachants de l'histoire sont souvent les personnages secondaires, comme Bobbie Draper, soldate d'élite fanatique, dont le patriotisme va se trouver ébranlé par la découverte d'un complot interplanétaire, Klaes Ashford, un ancien pirate et terroriste retord qui se transforme sur ses vieux jours en faiseur de paix, Camina Drummer (un personnage inventé pour la série, elle n'existe pas telle quelle dans les livres), capitaine de vaisseau dure-à-cuire qui sera tour à tour l'adversaire et l'alliée d'Ashford, ou Chrisjen Avasarala, une politicienne irascible et machiavélique, tiraillée entre sa vie familiale et personnelle, son ambition et la volonté d'œuvrer pour le bien commun, quand bien même celui-ci requiert des écarts avec les règles, les lois et la morale.
Ce qui nous amène à l'un des atouts majeurs de The Expanse. Comme d'autres séries événements du moment, la politique y est prédominante. Les films, en effet, prennent place dans un système solaire colonisé par l'espèce humaine, où s'affrontent trois puissances : la Terre, la plus peuplée et la plus puissante de toutes, désormais gouvernée par l'ONU ; Mars, qui supplée à son infériorité numérique par une société militaire et technologique très disciplinée, entièrement tournée vers son grand projet de terraformation ; et la Ceinture, qui désigne les peuples installés dans des mondes à faible gravité, gros astéroïdes et lunes des géantes gazeuses, et sont en quelque sorte le prolétariat des deux autres planètes. Alors que la Terre et Mars sont engagés dans une Guerre Froide qui risque de dégénérer à tout instant, la Ceinture cherche à obtenir son indépendance par les actions des diverses factions d'une vague organisation terroriste, tandis que des pouvoirs économiques occultes jouent des rivalités entre puissants pour pousser leur avantage.
La série commence quand un événement (en l'occurrence la découverte d'une antique forme de vie alien, la protomolécule), vient remettre en question cet équilibre. C'est alors, au fil de bouleversements qui affectent l'ensemble du système solaire (et plus encore) que se posent aux gouvernants plusieurs dilemmes : jusqu'où aller, avec ses adversaires, dans la démonstration de force ; jusqu'où est-il possible et légitime d'user de la force ; la fin justifie-t-elle les moyens ; comment adapter sa doctrine et ses lois à l'imprévu et à la force des événements ; comment instaurer un Etat légitime, sur la base d'un mouvement terroriste et révolutionnaire ; comment mettre fin à des décennies de haine entre factions et camps rivaux ; comment concilier ses propres intuitions politiques avec les aspirations populaires, quand celles-ci divergent.
L'autre atout de la série, c'est que ses auteurs ont construit un monde captivant pour lui servir de cadre. De tendance hard science, The Expanse s'appuie sur les connaissances scientifiques pour nous décrire un système solaire habité par les humains. Les effets de la gravité, par exemple, ceux du confinement en milieu spatial, ou ceux de l'accélération lors des voyages interplanétaires, sont déterminants. Ils jouent un rôle central dans l'intrigue, comme dans la personnalité des protagonistes. Ils dictent aussi, en partie, certaines différences fondamentales entre les peuples. Et s'il était difficile de traduire dans le film les différences physiques entre les "Ceinturiens" (ceux-ci sont grands, mais de constitution fragile) et ceux des planètes telluriques, plus manifestes dans les livres, la série s'en sort en mettant en exergue les spécificités de leurs coutumes (des tatouages, des coiffures caractéristiques), de leur accent et de leur patois. L'influence de la très martiale (si j'ose dire) société martienne sur la personnalité de ses membres est aussi bien pensée et mise en scène, de même que le brassage ethnique de ces mondes futuristes, qui se traduit par les faciès inhabituels des acteurs et actrices (celle qui interprète Bobbie est d'origine samoane, celle qui joue Drummer est amérindienne). Seule la protomolécule, cet artéfact extraterrestre capable de défier les lois de la physique, apporte un élément fantastique à ce monde par ailleurs bien rôdé et assez crédible, scientifiquement et historiquement parlant.
Mais une bonne histoire ne se satisfait pas d'un univers bien conçu. Il lui faut aussi de l'action, du suspense, de l'émotion, des sentiments et un groupe d'hommes auxquels s'identifier. Les héros de l'histoire, donc, servent tout de même à quelque chose. James Holden et son équipage, heureux propriétaires d'un vaisseau de guerre martien par un concours de circonstance, se retrouvent inopinément embarqués dans tout ce fatras géopolitique. Désormais au cœur des intrigues, ils deviennent presque par hasard (même si leurs passés les y destinaient) des sortes de justiciers de l'espace. Et c'est à travers leurs aventures, que tout prend sens. D'autant plus qu'elles sont haletantes, rythmées, tendues, ces aventures qui commencent par l'enquête policière menée par le cinquième larron de l'histoire, le détective Miller, et qu'elles comptent des rebondissements assez prenants, mis en valeur par des effets spéciaux pas toujours mais dans l'ensemble) visuellement plutôt réussis. Tout ou presque fonctionne dans The Expanse, et justifie qu'elle soit devenue la série de science-fiction référence de ces cinq dernières années.