Comme toute saga de fantasy majeure (et celle-ci est bien partie pour en devenir une), Les Sentiers des Astres a donné lieu à des spin-off. Le premier, "Dévoreur", est paru dès 2015 dans une version joliment illustrée, entre les deux premiers tomes de la série, Manesh et Shakti. Quant au second, "Le Roi Cornu", il lui a été ajouté quant a été publiée l'édition du poche. Tous deux ont pris la forme de deux récits plus courts et plus rapide que les très longs et les contemplatifs volumes principaux. Il s'agit de deux nouvelles prenant place dans le même univers, mais sans véritables liens avec l'histoire de Fintan Calathyn et de sa périlleuse expédition dans une lointaine forêt boréale. Ils sont aussi très différents l'un de l'autre, dans le propos comme dans la forme.

STEFAN PLATTEAU - Dévoreur

Le plus court, "Le Roi Cornu", prend la forme du récit mythologique. Il raconte, mille ans avant les événements contés dans Les Sentiers des Astres, l'exode du peuple des Firwanes, celui même auquel appartient l'héroïne Shakti, vers sa chère île d'd'Evassë. Il y est question d'un roi visionnaire au front orné d'une corne de narval, de créatures marines fabuleuses et d'une bramynn (une caste de sages inspirés des brahmanes indiens) légendaire, Mokhan, qui offre à une nation pourchassée par une créature diabolique, le Râpeux, un moyen d'accéder à son refuge. Cette nouvelle en forme de quête, cependant, se montre linéaire. Ses péripéties sont triviales, elles ne sont soutenues par aucune intrigue véritable, elles n'apportent aucun enseignement. "Le Roi Cornu" ne renouvelle le genre du récit mythologique qu'en terminant son récit du point de vue des ennemis des Firwanes, les alliés du démon nendou.

"Dévoreur" est le plus long des récits. Il donne son nom au livre, et à raison, puisqu'il en est son plat de résistance. Là encore, il s'agit de l'actualisation par Stefan Platteau d'un vieux genre littéraire. Mais plutôt que de s'inspirer de la mythologie, comme avec "Le Roi Cornu" et Les Sentiers des Astres, l'écrivain réinvestit le conte de fée. Il est question, en effet, d'un ogre redoutable vivant dans un sinistre château, et du combat d'un magicien contre lui. La dimension fantastique prédomine, on assiste à une débauche de pouvoirs magiques. Cependant, cette nouvelle est plus moderne et originale que "Le Roi Cornu".

Bien plus que dans les contes, on expose la psychologie des protagonistes. L'ogre en question est une vraie personne. Autrefois agréable et avenant, il est capable de rationaliser ses actes, qui en font davantage un homme perverti, à la manière d'un serial killer, qu'un simple monstre. On entre dans la tête des personnages, comme Aube. On partage les espoirs et les angoisses de cette mère, on s'identifie à elle quand elle est confrontée à l'ogre, quand elle craint qu'il s'en prenne à elle et à ses enfants. Même chose quand son époux Peyr pénètre dans le château de l'ogre, s'exposant dans chaque pièce à de nouveaux dangers. On voit aussi l'une des victimes du monstre, Sita, perdre à son contact son innocence et sa confiance envers les adultes. La violence, aussi, est plus présente, plus détaillée, plus incarnée que dans un conte traditionnel, plus précise quant aux sévices endurés par les enfants prisonniers de l'ogre. L'horreur devient tangible quand l'ogre rogne la main d'un enfant, ou qu'il décrit le plaisir extatique que lui procure le cannibalisme.

Il y a quelques années, Ellen Datlow, Terri Windling et une poignée d'auteurs avaient entrepris, avec Snow White, Blood Red (Blanche Neige, Rouge Sang dans sa version française) d'actualiser les contes de fées, de les remanier à l'aide d'une écriture plus moderne. Mais le résultat avait été décevant. En rendant explicite le contenu sous-jacent de ces derniers, analysé en son temps par le psychanalyste Bruno Bettelheim, ils l'avaient appauvri. Stefan Platteau adopte la même approche que Snow White, Blood Red, il laisse moins de place à la suggestion et aux non-dits. Dans son récit, l'ogre n'est plus une image, il devient pour de bon ce qu'il représente dans les contes de fée : le mauvais père. De même, le parallèle entre le cannibalisme et l'inceste, l'ogre l'établit explicitement. Et pourtant, l'histoire tient le coup. "Dévoreur" parvient à être tout autant un récit fantasmagorique qu'un thriller fantastique.

Pour ceux qui seraient déjà familier avec ce dernier, cette histoire a une autre qualité : elle apporte plus d'éclaircissements sur l'univers des Sentiers des Astres que n'importe quel volume de la saga. A travers le destin funeste de l'ogre et les actions de Peyr Romo, on en apprend beaucoup sur le système de magie et sur la cosmologie propres au monde imaginé par l'auteur, lesquels sont intimement liés l'un à l'autre. On comprend mieux d'où viennent les géants solaires et lunaires, ou encore les terribles nendou, qui sont au cœur des autres livres. Ces fameux astres qui ont donné leur nom à la saga, notamment, sont décrits un à un à la fin de la nouvelle, laquelle se termine sans crier gare par un exposé de magie, et par une encyclopédie des huit planètes qui président à la destinée des hommes. Cette fin abrupte, c'est le seul défaut de ce "Dévoreur", un récit où les néophytes tout comme les initiés aux écrits de Stefan Platteau devraient trouver leurs comptes à parts égales.

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