Episode deux, pour la trilogie de science-fiction ou de fantasy (de science-fantasy, donc, on suppose) l'une des plus célébrées de la décennie passée. Et cette fois, avec The Obelisk Gate, N. K. Jemisin ne peut plus nous faire les mêmes surprises qu'avec The Fifth Season. On commence à se faire à son monde de la fin des temps, rythmé par ses caprices telluriques. On s'habitue à cette narration à la deuxième personne, dont on comprend qu'elle n'est pas seulement un exercice de style, mais que derrière se dissimule l'un des protagonistes de l'histoire. Et on n'a plus, dans ce nouveau tome, ces trois récits concurrents, qui relatent plusieurs étapes de la vie de la même personne.

N. K. JEMISIN - The Obelisk Gate

Tout au contraire, la série The Broken Earth (La Terre Fracturée en VF) retrouve ici un peu de normalité. The Obelisk Gate, c'est l'exemple même du volume intermédiaire, et parfois frustrant, que nous offrent la plupart des trilogies. Celui où domine l'attente. Celui pris en tenaille entre la révélation du premier et l'apothéose que nous réserve fatalement la conclusion. L'intrigue, en effet, y est relativement statique. Pour l'essentiel, on suit la nouvelle existence de l'héroïne, Essun, dans la ville souterraine de Castrima, au milieu d'une communauté bigarrée faite d'humains ordinaires, d'orogènes comme elle (les magiciens du coin, capables entre autres de manipuler les mouvements de la croûte terrestre) et de ces curieux "stone eaters" (les mangeurs de pierre) découverts dans le précédent livre. L'action est maigre, les personnages tournent en rond, l'intrigue avance à tout petits pas, le récit se focalise sur la vie et les tensions de cette communauté qui essaye de survivre à la destruction du monde.

Ce second livre qui raconte un siège, façon Gouffre de Helm, ne sert au fond qu'à clarifier la dynamique de l'univers imaginé par Jemisin. On en apprend un peu plus sur son fonctionnement, avec ses histoires d'obélisques volantes, de Terre en colère et de lune dont l'orbite est devenue folle. Il nous présente aussi les forces occultes et les factions plus ou moins souterraines qui gouvernent la marche de son univers. Mais ce n'est guère qu'à la fin que les choses s'emballent et qu'elles prennent un tour apocalyptique, comme le veut au fond la loi du genre, à grand renfort d'effets pyrotechniques de dimension planétaire assurés par un être surpuissant avec l'aide d'artéfacts magiques.

L'histoire d'Essun fait avancer l'intrigue, mais elle n'est pas toujours palpitante. Beaucoup plus, cependant, l'est celle qui relate les aventures de Nassun, sa fille. Dans le volume précédent, on savait celle-ci en errance. L'orogène avait traversé la moitié d'un continent pour la retrouver, sans succès. On apprend cette fois ce qu'il est advenu d'elle. On suit Nassun avec Jija, un père déchiré entre l'amour pour sa fille et sa haine viscérale pour ce qu'elle est : une orogène, une "rogga", comme sa mère. On la voit rejoindre une autre communauté, et tomber sous la coupe de Schaffa, l'homme inquiétant qui, autrefois, avait eu la garde d'Essun (car le monde dépeint par Jemisin est décidément bien petit, il a beau être d'échelle planétaire, on n'arrête pas de tomber sur de vieilles connaissances).

On suit le cheminement affectif de Nassun, cette enfant dressée à la dure par une mère qui voulait la préparer aux dangers du monde, trahie par un père qu'elle adorait, recueillie par un homme trouble qui semble la comprendre, et qui va se convaincre qu'elle est le monstre qu'on voit en elle, qui embrasse même cette identité, dans un élan de nihilisme. C'est cet autre récit, celui de la naissance du mal, qui retient le plus l'attention dans The Obelisk Gate. Il est celui qui captive, celui qui nous rend impatient d'assister aux retrouvailles finales entre la mère et la fille.

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