Souvent, en fantasy, le monde finit par compter davantage que l'histoire. L'auteur se fait un nom avec une première série de romans, mais avec le temps, l'univers prend le pas sur l'intrigue, et il éprouve le besoin d'y mettre en scène de nouveaux personnages, de nouvelles aventures, voire de l'aborder avec un autre registre littéraire. Nous en avons une démonstration avec Les embrasés, un spin-off de Stefan Platteau dans le monde des Sentiers des astres, lequel n'est pas le premier pour cette série devenue un classique de la fantasy francophone., puisqu'il y a quelques années était déjà paru Dévoreur, une réussite.
Avec Les embrasés, ce n'est pas une seule nouvelle que l'écrivain belge nous dévoile, mais trois.
La première est présentée comme un prologue aux Sentiers des astres. A travers le récit concurrent de protagonistes de deux camps, elle décrit un épisode antérieur du conflit fratricide qui est à l'arrière-plan du récit. Très courte, cependant, cette histoire de cité occupée mais insoumise n'est pas la principale pièce de ce recueil.
La suivante ne l'est pas davantage, pour qui connait déjà Dévoreur. Il s'agit en effet du même texte. Nous voilà donc confrontés encore à cette manie éditoriale qui consiste à mêler l'ancien à l'inédit. Il y a une logique, toutefois, au recyclage de ce texte, puisque le plus important des trois, Les eaux de sous le monde, en est en quelque sorte la suite.
Le héros en est le même, le magicien Peyr Romo, lequel prend ici des couleurs, puisqu'on en apprend un peu plus sa personnalité et sur son passé. L'action se passe semble-t-il deux années après celle de Dévoreur, et à plusieurs reprises, il est fait référence aux événements de ce dernier. Ils jouent même un rôle important dans l'épisode final de cette nouvelle histoire.
Celle-ci, néanmoins, est d'une autre nature, son registre est distinct. Les aventures précédentes de Peyr Romo prenaient place dans une campagne isolée, tandis que les nouvelles se déroulent dans les rues populeuses et inondées par les crues de la ville de Feddrantir. Elles réinventaient le conte de fée à travers le thème de l'ogre, alors que ce nouveau récit se présente comme une enquête policière médiévale dans l'ambiance malsaine d'un couvent miné par les lourds secrets de son passé, dans la lignée du Nom de la rose.
Dévoreur nous permettait de découvrir un peu plus la cosmologie de l'univers inventé par l'écrivain. On en apprenait un peu plus ces fameux astres qui président aux destinées des hommes. Les eaux de sous le monde, cependant, s'intéresse aux profondeurs. Comme son titre le suppose, il nous plonge dans cet outre-monde souterrain où ont été reléguées et emprisonnées les forces maléfiques, opérant ainsi un lien avec Jaunes Yeux, le dernier volet en date des Sentiers des astres. Proximité chronologique oblige, on pense beaucoup à ce dernier roman en lisant ce texte inédit qui, comme lui aussi, parle encore plus ouvertement de sexualité que les précédents.
Mais au-delà de ces spécificités, on retrouve dans Les eaux de sous le monde les grandes constantes de l'art de Stefan Platteau, à commencer par son travail sur les ambiances (des ambiances fluviales, une fois de plus), déployées dès ces premières pages qui nous montrent le héros avancer en barque dans le chaos des rues inondées de Feddrantir.
On retrouve aussi au cœur du récit, comme avec Dévoreur, une dimension psychanalytique. Les eaux de sous le monde, en effet, nous raconte le retour du refoulé.
Dans cette histoire, en parallèle de ces flots qui montent avec la crue et qui souillent tout, ce sont tous les souvenirs cachés et les remords enfouis qui réapparaissent à la surface, et qui reviennent habiter ceux qui pensaient s'en être débarrassés. L'outre-monde, on le découvre ici, c'est l'inconscient. C'est le refuge de toutes nos peurs et de toutes nos culpabilités. C'est le lieu dangereux de tous nos cauchemars. Et la morale de l'histoire, c'est qu’il faut regarder ses traumatismes en face si on ne veut pas qu’ils nous hantent.
Ce huis-clos monastique est donc encore une réussite, avec pour seule limite des personnages quelque peu manichéens. L'auteur, en effet, est un humaniste et un bienveillant, il n'a rien d'un cynique, et il surjoue parfois l'opposition entre les gentils libertaires compatissants envers les minorités ethniques et sexuelles (ou l'handicapée courageuse qui s'accepte) et les vieilles bonnes sœurs hypocrites drapées dans leurs principes et cachant leurs vices derrière une façade respectable.
Pour cette seule raison, le moment fort de ce nouveau recueil n'est pas toujours du grand Platteau, mais c'est du Platteau tout de même. Lu dans la foulée de Dévoreur, c'est du tout bon. Et si on me pardonne ce mauvais bon mot déjà sans doute maintes fois employé, ça se dévore.
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