En 1999, quand The Phantom Menace est sorti, ça a été la douche froide. Après seize années sans rien (L'aventure des Ewoks ça ne compte pas, hein), on attendait énormément de cette suite à la trilogie originale de Star Wars, ou plutôt de cette prélogie. Mais à la place, on a eu… Jar Jar Binks. Ce personnage grotesque mis à part, l'histoire est apparue simplette, avec en prime plusieurs moments stupides (celui où Anakin, en pilotage automatique, détruit la flotte ennemie par accident…). Bref, ce qui est sorti sur les écrans était au bout du compte un film à grand spectacle pour les enfants.

TONY GILROY - Andor

Le vrai souci, cependant, ne venait peut-être pas du film, mais de ses spectateurs.

Star Wars, en vérité, a toujours été un show pour les jeunes. S'ils avaient regardé le film de 1977 la tête froide, sans nostalgie, ses vieux fans l'auraient trouvé passablement niais. George Lucas ne s'en est jamais caché : il a toujours voulu renouveler les vieux contes d'autrefois. Il souhaitait parler de princesse sauvée des griffes d'un chevalier noir par de beaux garçons courageux et volontaires. Il y avait déjà, dans le film intitulé après-coup A New Hope, des aliens débiles, de jolies batailles dans l'espace sans grand égard pour les lois de la physique et des héros à la psychologie sommaire, Leia et Luke en tête, quand il se remettent bien vite des meurtres de leurs familles respectives pour célébrer leur grande victoire sur les méchants.

Avec la prélogie de 1999 George Lucas, en vérité, demeurait ambitieux. Son objectif n'était pas tant de satisfaire les papas (et les mamans) qui avaient été enchantés par ses films dans les années 70. Il était de renouveler les fans en séduisant leurs enfants avec une histoire simple, quitte à la complexifier et à la noircir avec les prochains épisodes, comme il l'avait fait vingt années plus tôt, avec la trilogie originale. Il n'y a jamais eu la moindre trahison, mais simplement la déception de gens qui auraient voulu que leurs passions vieillissent avec eux, la désillusion d'anciens enfants qui auraient souhaité que Star Wars devienne comme eux, un peu désenchanté, un peu plus réaliste. Que le rêve soit désormais un peu plus crédible.

Et cela a fini par arriver, l'an dernier, avec la série Andor.

Réalisée par celui qui a délivré le meilleur Star Wars de l'ère Disney, et de loin, Rogue One, ces douze épisodes sont un préquel de ce préquel. Ils relatent l'histoire de Cassian Andor, l'un des héros qui ont volé les plans de l'Etoile Noire, et à travers, lui, ils racontent la naissance de la Rébellion.

Et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est beaucoup plus subtil et ambigu que, je ne sais pas, The Book Of Boba Fett.

Plus adulte aussi, si tant est que cela soit une qualité. Et cela, tant en ce qui concerne les sentiments que la morale.

La première scène plante le décor : elle met en scène le héros dans une maison close, à la recherche de sa sœur. Il n'y aura pas de sexualité visible, Star Wars n'en est pas le lieu. Mais d'emblée, le ton est donné. Les relations charnelles sont évoquées, comme quand on aperçoit Bix Caleen, l'amie de Cassian Andor, se rhabiller au saut du lit (soit à peu près la chose la plus torride qui puisse arriver dans la franchise).

Il y a aussi Vel Sartha, la cousine homosexuelle de la cheffe rebelle Mon Mothma, l'un des rares personnages historiques de la saga présents ici.

Certes, il y avait déjà le baiser lesbien dans L'Ascension de Skywalker, mais cette fois, il ne s'agit pas seulement de satisfaire les quotas diversity & inclusions d'Hollywood par une scène gratuite. Cette identité sexuelle sert l'histoire. Cachée dans une société très patriarcale, elle fait miroir au statut clandestin de Vel Sartha, en permanence contrainte et habituée à dissimuler sa nature à un monde qui ne l'accepte pas.

Quant au manichéisme qui structure Star Wars, il disparait une bonne fois. Cassian Andor l'avait déjà montré dans Rogue One : il n'est pas un ange. Il n'a rien d'un idéaliste. C'est peut-être bien pour cela, parce qu'il sait se salir les mains, qu'il est un agent si efficace dans la lutte contre l'Empire.

Pour les Rebelles naissant, la fin justifie les moyens. Mon Mothma échange la liberté de sa propre fille contre le financement de ses activités. Luthen Rael, celui qui enrôle Andor dans la Rébellion, laisse des alliés se faire massacrer pour donner le change. Ce dernier le dit dans son saisissant monologue à la fin du dixième épisode : pour sa cause, il a renoncé à tout. Il lui a tout sacrifié, même ses principes, puisque combattre l'ennemi signifie adopter ses méthodes. Ce n'est pas une grandeur d'âme innée qui a fait de lui un révolutionnaire, mais c'est l'orgueil, c'est la prétention de devenir un sauveur.

Ce camp du Bien est divisé. Un dialogue entre Luthen Rael et Saw Gerrera le montre, où transparait toute l'acrimonie qui sépare anarchistes, séparatistes et néo-républicains, des clans dont le seul point commun est de haïr l'Empire. Quant aux forces du Mal, elles sont tout aussi bancales et imparfaites. Elles sont minées par le marché noir, par ce même trafic sur lequel la Rébellion prospère. Et elles sont victimes de leurs propres principes.

Parce que la terreur règne, les autorités vassales de Morlana One hésitent à reporter à l'Empire les troubles créés par Andor, de crainte qu'ils ne leur retombent dessus. Quand les soldats impériaux lancent leur assaut sur Kreegyr, il n'y a aucun survivant qu'ils auraient été avisés d'interroger, car leur but premier est, par un massacre, de se faire pardonner par l'Empereur un désastre militaire passé. Dans leur ensemble, les agents de la tyrannie apparaissent pâles, gauches, falots, à l'image de l'officier zélé Syril Karn, qu'une ambition dévoyée mène à la catastrophe.

On l'entend dans le dernier épisode : maintenir la tyrannie est ardu, cela requiert énormément d'énergie, et toujours plus de répression. C'est ce cercle infernal que cherche à enclencher Luthen Rael : rendre l'Empire toujours plus malfaisant, pour que ses défauts deviennent inacceptables pour le grand nombre. Le forcer à faire toujours plus mal, pour réveiller les gens de leur torpeur.

Tel est donc l'objet principal des douze épisodes d'Andor : disséquer les ressorts d'une tyrannie, en comprendre sa nature.

THX 1138, en 1971, le premier film de George Lucas, nous emmenait déjà au cœur d'une société dystopique. Il était un film de science-fiction glauque en phase avec son époque, celle d'Orange Mécanique et de Soleil Vert. Mais il était aussi une histoire simple, qui préfigurait le triomphe du cinéma d'évasion à la Star Wars. Son héros fuyait la société totalitaire où il était enfermé, il recherchait la lumière du soleil, tout comme Lucas voulait un autre cinéma. Mais la série Andor, elle, nous remmène sous terre, dans la noirceur de l'oppression, dans la complexité d'une histoire sombre qui parle aux adultes.

Certains se sont plaints d'Andor. Ce n'est plus Star Wars, ont-ils dit. Et ils n'ont pas totalement tort. Le réalisme du film tue le spectacle, parfois, comme avec cet épisode final qui ressemble davantage à un affrontement entre CRS et Gilets Jaunes sur les Champs Elysées, qu'à une apothéose spectaculaire typique de la franchise. Sans trop d'aliens, dépourvu de Jedi, de sabre laser et de manichéisme, Andor est incontestablement une autre proposition. Mais c'est aussi une éclatante démonstration de l'extraordinaire plasticité de l'univers imaginé par George Lucas.

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