Tout tourne encore autour de la saga Skywalker, dans les multiples films ou séries développés sous l'ère Disney dans l'univers de Star Wars. Leur principe est simple : s'emparer d'un héros, raconter ses aventures annexes, qu'il s'agisse d'un personnage majeur (Han Solo, Obi-Wan Kenobi) ou secondaire (Boba Fett) de la franchise, ou du protagoniste de l'un de ses spin-off (Ahsoka, Andor) ; et dans tous les cas, comme dans cette exception qu'est The Mandalorian, multiplier les apparitions en lien avec les films originaux, celle par exemple de Luke, ou encore celle d'une version juvénile de Yoda.

LESLYE HEADLAND - The Acolyte

C'est du fan service, essentiellement. Souvent, l'émoi et le frisson proviennent de ses clins d'œil aux films d'origine, lesquels demeurent les sommets indépassables de la franchise.

The Acolyte ne fait pas exception. A deux reprises au moins, peut-être trois, on entrevoit un personnage de la saga principale. Mais c'est fugace, et cela pour une bonne raison : l'intrigue se déroule un siècle auparavant, dans une galaxie où l'ordre Jedi est alors fermement installé et (presque) incontesté. C'est risqué, et donc intéressant : les studios Disney ont imaginé une histoire avec des protagonistes totalement différents de ceux que l'on connaît, ouvrant ainsi un vaste éventail de possibilités, pour le meilleur, ou pour le pire.

Le pire, beaucoup ont cru le voir quand la série est devenue publique. L'opinion immédiate, c'est que celle-ci est décevante. Et de fait, elle prête le flanc à plusieurs critiques.

Passons outre les commentaires anti-woke. On les comprend souvent quand ils concernent des films qui réinventent l'Histoire, ou qu'elles rendent les intrigues invraisemblables. Mais enfin, l'univers de Star Wars est entièrement imaginaire, on est tout à fait libre d'y imaginer des héros de n'importe quelle couleur de peau, de n'importe quel genre, de n'importe quelle orientation sexuelle. Faux débat qu'on laissera à l'entre-soi d'ahuris et de frustrés de la fachosphère.

Ecartons aussi d'un revers de main les puristes qui soulignent les incohérences, par exemple la réapparition d'un Sith, alors que ceux-ci sont censés rester invisibles aux Jedi un siècle de plus. D'une part (attention, gros spoiler), quasiment toutes les personnes qui ont vu l'intéressé sont mortes avant d'avoir pu en rapporter l'existence. D'autre part, les imparfaites trilogies originales avaient aussi leurs contradictions, comme quand la princesse Leia évoquait le souvenir d'une mère morte en couches, qu'elle n'a donc pas connue.

Quelques autres reproches, cependant, paraissent plus fondés, notamment ceux à propos de la trajectoire de l'héroïne, Osha (attention, autre gros spoiler), qui semble oublier bien vite que son nouvel allié est le meurtrier de ses amis Jedi. Elle plonge trop facilement dans l'autre camp, transformant dans la foulée un sabre bleu en sabre rouge, dans un moment dont le ridicule est digne de la désastreuse dernière trilogie (c'est bon, pas besoin de cet artifice, on avait bien vu qu'elle avait basculé du côté obscur de la Force). Bref, avec The Acolyte, les Sith et les Jedi deviennent les Tristus et les Rigolus, pour ceux qui auraient connu cette vieille BD.

Cette série, cependant, a deux grosses qualités.

La première, comme souvent chez Star Wars, tient à l'aspect visuel. Les combats sont graphiques, ils sont fluides. Qui plus est, ils sont plutôt haletants, notamment cette confrontation centrale entre le Sith et une escouade entière de Jedi, ou celle, finale, entre Qimir et Sol. C'est assez chouette à regarder, et pas seulement parce que les auteurs se sont vraiment fait plaisir, avec la palette de couleurs des sabres laser. Comme on ne sait rien des nouveaux personnages, il y a de vrais enjeux, des surprises. The Acolyte (spoiler, encore) s'offre même le luxe de Noces pourpres à la sauce Star Wars.

Le second atout de la série, c'est qu'il dévoile un monde toujours plus nuancé que les films principaux. Mis en cause par le sénateur Rayencourt, qui remarque fort pertinemment qu'un si grand pouvoir placé en eux n'est pas sans danger, les Jedi s'en sortent par des mensonges et des manipulations. Vernestra Rwoh, la cheffe de l'ordre, ne partage pas que son statut et son sabre violet avec son successeur Maître Windu. Comme lui, elle est contrainte d'outrepasser les principes Jedi. La droiture survit rarement aux nécessités politiques.

De même, plusieurs Jedi s'avèrent faillibles, tels Torbin et Sol, les deux hommes à l'origine de la tragédie qui se joue ici, ou leur compagnon le Wookiee Kelnacca, qui malgré sa maîtrise de la Force se laisse posséder sans grande résistance.

A l'inverse, même s'ils sont fidèles à eux-mêmes (des assassins, qui laissent leurs passions les dominer), les Sith sont humanisés. Une forme d'affection semble naître entre Qimir et Osha. Et ce n'est pas par hasard que ce sixième épisode, où le premier entrouvre à la seconde la voie du Côté Obscur, est intitulé "Teach / Corrupt". Enseigner et corrompre paraissent bel et bien la même chose, tout est une question de point de vue. Seules changent la perspective et la connotation. Comme Qimir le dit lui-même, quand Osha comprend la route sur laquelle il veut l'emmener, tout cela n'est qu'une histoire de sémantique. Et à la fin de l'histoire, la voie des Jedi ressemble à un aveuglement, un mensonge, une impasse, quand celle des Sith paraît une libération.

Comme avec d'autres spin-off, le meilleur en premier lieu (Andor), c'est un monde moins binaire qui se fait jour, d'autant plus qu'y prend place une communauté de sorcières qui manient elles aussi la force, et qu'elles-mêmes sont partagées entre bonnes et moins bonnes attentions. Donc oui, les auteurs de cet Acolyte loin d'être parfait, mais pas si mauvais qu'on l'a dit, ont su profiter des opportunités que leur a offerte cet éloignement temporel de la saga Skywalker.

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