C'est le principe même du roman historique : combler les trous, compenser les manques, reconstituer le puzzle. Tenter, à partir de ce qui nous a été rapporté du passé, de construire un récit. Comprendre, au-delà des actes et des événements que l'on connaît, ce qui les a motivés. Saisir comment ils ont été décidés et vécus, dans l'intimité de chacun. Imaginer les pensées et les calculs de ceux qui en sont l'origine. En résumé, transformer l'Histoire en histoires. Et parfois, retrouver l'être humain derrière la figure légendaire.
Philippe Auguste est l'une de ces figures. Le Capétien, en effet, est l'un des plus grands rois qu'ait connus la France, celui qui doit son surnom à son mois de naissance, mais aussi à ce long règne pendant lequel il s'est montré digne des empereurs d'antan. Son parcours est passionnant et rempli de rebondissements. Le grand-père de Saint Louis a constamment bataillé contre l'Angleterre, s'alliant à puis luttant contre Richard Cœur de Lion, suivant le même chemin avec le frère de ce dernier, Jean sans Terre, s'opposant à Saladin pendant les croisades, dont il est rentré malade et diminué, et contractant plusieurs mariages particulièrement agités, dont l'un est au cœur même de ce roman de Michel Pagel.
Le roi d'août est l'un des romans de référence de cet auteur important de la littérature fantastique, ici en France. Publié il y a une vingtaine d'années, il vient d'être réédité par Les Moutons Electriques, qui nous rappellent le travail imposant mené alors par l'écrivain. Ce dernier, en effet, s'est documenté abondamment pour nous retracer le parcours du souverain, de l'aube de son couronnement jusqu'à cette grande apothéose qu'a été la victoire décisive de Bouvines.
Plus précisément, il nous relate sa relation avec Isambour (ou Ingeborg, ou Ingeburge) du Danemark, cette seconde épouse qu'il a répudiée et emprisonnée dès après sa nuit de noce, pour la reprendre auprès de lui vingt ans plus tard.
Cette bien étrange affaire, dont on n'a jamais su les tenants exacts, est sans doute le résultat des relations et des alliances changeantes entre Philippe, les souverains danois et la papauté. Mais Michel Pagel, dans son travail de romancier historique, remplit les manques et les trous d'une toute autre matière, celle qu'il a l'habitude de manier : la fantastique.
L'écrivain s'engouffre dans la brèche, et dans quelques autres de la biographie de Philippe, pour échafauder une explication à l'ensemble de ses grandes décisions, à ses hésitations, à ses victoires et à quelques autres mystères de sa vie. Egaré au cours d'une partie de chasse alors qu'il n'était encore que le prince héritier, le futur Philippe II aurait subi alors un traumatisme de nature surnaturelle, qui aurait resurgi lors de sa première rencontre intime avec sa femme.
Michel Pagel cimente avec adresse les vides dans l'histoire du roi de France. C'est un travail d'orfèvre, dont il explique les méthodes et les partis-pris dans une postface éclairante sur les possibilités et les limites du roman historique. Et pourtant, cette part fantastique du livre n'est pas forcément la plus exaltante. Même si le souverain, souvent colérique et injuste, n'est pas toujours présenté sous un jour favorable, même si la relation entre les deux époux est pour le moins cruelle et tourmentée, il y a tout de même quelque chose d'assez niais dans cette histoire d'amour étrange avec la patiente et l'obstinée Isambour. Le cheminement psychologique de cette dernière, tout comme celui de Lysamour, fait peu de sens. Et quelques passages sont pour le moins douteux, comme ce plan à trois qui, in fine, est censé tout résoudre dans la liaison compliquée des deux souverains…
En vérité, si Le roi d'août se lit avec plaisir, c'est pour sa matière principale, c'est pour la dimension purement historique du récit. Par la magnitude de ses succès et de ses réalisations, par la qualité de ses protagonistes, par ses multiples batailles et actions dans toute la France et jusqu'en Terre Sainte, l'histoire vraie de Philippe Auguste est riche, elle est fascinante. Et s'il faut reconnaître une qualité à Michel Pagel, c'est sa plume, c'est son aisance et sa fluidité d'écriture, qui nous emporte au cœur de ce Moyen-âge où se jouaient à tous les étages de complexe réseaux d'alliances, et où se précisait un peu cette France que l'on connaît aujourd'hui.
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