Chukoron-Sha / Gallimard :: 1928 / 1985 :: acheter ce livre
Traduit du japonais par René de Ceccatty et Ryoji Nakamura

Au début, cela ressemble à un simple triangle amoureux. Monsieur Kakiuchi mène une vie de bourgeois tranquille avec sa femme Sonoko, jusqu’au jour où celle-ci s’éprend de Mitsuko, superbe et narcissique jeune fille rencontrée à l’Ecole des Beaux Arts. Une relation fiévreuse naît entre les deux femmes, avec tout ce que cela suppose de cachotteries et de scandale potentiel. Mais bientôt surgit un quatrième individu, le soupirant caché de Mitsuko, un Watanuki séducteur et manipulateur. De triangle, la relation se transforme en manji, un svastika, une croix qui tourne. La belle devient l’objet de convoitise des trois autres, qui rivalisent de pièges et de machination pour se l’approprier ou se la conserver. Si bien qu’à force de traîtrise, de chantage et de simulacres de suicide, les quatre protagonistes iront collectivement à leur perte.

Cela commence comme un roman de mœurs, mais à mesure des pages, Svastika se transforme en intrigue quasi policière, avec ses énigmes, ses complots, ses secrets et ses révélations, ses enquêtes et ses agissements pas nets. Raconté sous la forme d’une confession par une Sonoko déboussolée par les récents événements, l’histoire ne dévoile que très progressivement la nature exacte des petits calculs et des relations entre chacun des personnages principaux, plus ceux de quelques autres pas si secondaires que cela. Dès le début, le ton catastrophé de la bourgeoise laisse entendre qu’il s’est passé un drame, mais ce n’est qu’en toute fin et après plusieurs rebondissements que la nature et les ressorts de celui-ci sont finalement révélés.

Tout cela apporte au livre un suspense qui lui suffirait presque. Mais ce n’est pas tout. Tanizaki nous montre aussi les liens complexes qui relient sentiments, sexualité et attitudes. Les relations entre ses personnages sont scandaleuses (amours homosexuels et multipartenaires), surtout à l’époque où le roman se situe et a été écrit (le début du siècle dernier). Mais caché derrière le monologue éploré de Sonoko, l’écrivain japonais reste neutre. Il est sans parti pris ni jugement. Son roman est la description rigoureuse d’une mécanique sentimentale singulière, exceptionnelle même, d’une excursion hors des normes, d’une série de comportements pathologiques. Mais même dans leurs dérèglements, ces relations et ces emportements amoureux restent précis et réalistes. Sans verser une seconde dans la dénonciation populiste des dépravations de la bourgeoisie ou dans la complaisance de la littérature sexe trash contemporaine, Svastika était pour Tanizaki l’occasion de nous dépeindre la sexualité pas si simple et pas si nette des gens ordinaires.