Holloway House :: 1977 :: acheter ce livre

Il y a tout de même un changement d'échelle par rapport au volet précédent. Finies les arnaques à deux balles dans les rues de Chicago. Johnny O’Brien joue maintenant dans la cour des grands, et dans celle des Blancs. Avec toute une coterie de personnages hauts en couleur et pittoresques, il s’attaque à de gros poissons et à des montants de plusieurs centaines de milliers de dollars. Ses arnaques à tiroir avec protagonistes multiples, fausses villes fantômes et combats de boxe truqués ont quelque chose de démesuré.

L’autre changement tient à la morale de l’histoire. Il y en a une, la même que dans Trick Baby, la même que dans tous les romans de Slim, et elle tient en une phrase : l’escroquerie est un jeu aussi jouissif que dangereux, surtout quand on se frotte à plus gangster que soi. Mais cette morale est moins prégnante et moins développée que dans ses livres précédents. Iceberg Slim a écrit ce roman à l’issue d'années 70 qui avaient sacralisé le gangster, l’antihéros, et bousculé la morale traditionnelle. Et cela se ressent.

White Folks, en effet, est devenu plus cynique qu’autrefois. Son plus proche partenaire peut être assassiné de la manière la plus atroce, il ne semble pas en faire grand cas. Tout juste plie-t-il bagage pour ne pas connaître le même sort, se préoccupant d'une histoire d’amour passée qui a tourné court, plutôt que de son compère disparu. Slim lui-même, qui se met en scène dans ce roman, se montre odieux face à une journaliste qui lui tape sur les nerfs, et il récuse bien vite l’étiquette qu’elle voudrait lui coller, celle du bon Noir qui a racheté ses fautes. Ces évolutions, cependant, ne suffisent pas à apporter du sang neuf.

Qui plus est, Long White Con est dépourvu de véritable intrigue. Le livre se présente comme une suite de trois récits, trois histoires d’escroquerie, dont certains se dénouent de façon pour le moins abrupte. Ainsi du deuxième, où toute la joyeuse bande d’arnaqueurs qui entoure White Folks, soudainement démasquée, est embarquée toute entière dans un panier à salade, puis libérée en deux temps trois mouvements, dès la page suivante, prête à démarrer une nouvelle aventure sans grand rapport avec la précédente. Ainsi aussi de cette histoire de sexe et d’amour avec une riche héritière qui se termine en queue de poisson. Les romans plus anciens de Slim n’avaient pas ce côté dilettante et vite ficelé.

Restent tout de même les ingrédients qui font toute la saveur de l’œuvre de Slim : ce style pour le moins cru rédigé aux trois quarts dans des termes argotiques, ces histoires de violence (une vengeance par écrasement en fin de roman), de sexe (une somptueuse scène de masturbation féminine, entre autres). Et puis bien sûr ces escroqueries où il sera autant question d’une princesse aztèque incestueuse que d’une recette de poulet particulièrement goûteuse, ces arnaques alambiquées et incroyables qui semblent être les seuls éléments que Slim a pris plaisir à rédiger et à partager avec ce roman.