Même ironie douce, même prodigalité dans la figure de style, même légèreté amusée, mêmes personnages aussi caricaturaux qu’attachants, mêmes escapades rocambolesques, même détournement de la littérature populaire, qu’elle soit d’aventure ou policière, avec en plus un brin de fantastique d’opérette via l’apparition d’un ange gardien clownesque de trente centimètres de haut. Les grandes blondes est à l’image des autres romans d’Echenoz. Seuls changent encore la feuille de route des héros (une action centrée sur Paris, des petits détours en Normandie et en Bretagne, des grands en Australie et en Inde) et le cadre, le milieu que l’écrivain veut dépeindre et railler gentiement.

JEAN ECHENOZ - Les grandes blondes

Avec ce livre, c’est le monde de la télévision qui est cette fois dans le collimateur. Tout commence quand le producteur Paul Salvador, assisté par la sculpturale Donatienne, demande au détective Jouve de retrouver une ex-starlette de la chanson des années 80 pour une émission consacrée aux grandes filles blondes. Suit un long chassé-croisé entre Gloire, ancienne chanteuse déglinguée aidée par le surnaturel Béliard et par l’avocat Lagrange, et la bande de pieds nickelés que Jouve envoie à sa suite, Kastner, Personnettaz et Boccara. L’histoire est celle d’une interminable course-poursuite où apparaissent ici et là un loup de mer breton paumé, un policier raté et véreux, une escouade de mafieux indiens, une amatrice de sitcoms sentimentaux et d’autres personnages encore.

Tout ça ne mène pas à grand-chose, mais on s’amuse bien. Et Jean Echenoz aussi, selon toute apparence. Il a du style, et cela est bien pratique. Ca l’autorise à le faire son roman d’aventure, sous couvert de détachement et sous l’apparence de la moquerie. Quel écrivain se permettrait de telles escapades sans l’aisance et les milliers d’idées de celui-là ? Jean Echenoz s'autorise toutes les fantaisies. Il est au-dessus du bon ou du mauvais goût. Il évite le roman psychologique ou contemplatif, et d'autres genres tout aussi sérieux que mortifères. Mais en même temps, il s’affranchit des règles contraignantes du roman populaire, celles selon lesquelles rien dans une intrigue ne doit être le fruit du hasard, celles selon lesquelles tout détail doit se payer un jour, généralement au dénouement du récit.

Le talent insolent d’Echenoz lui permet de raconter l’histoire qu’il a en tête, et rien qu’elle. Des protagonistes surgissent à tel ou tel moment, qui ne servent strictement à rien et qu’on ne reverra jamais, mais ça n’est pas grave. L’écrivain développe sur tout un chapitre le personnage de Kastner. Puis soudain celui-ci tombe d’une falaise bretonne et il disparait à jamais, sans que cela ne pose problème. : un autre détective, Personnettaz, lui succédera, qu’Echenoz gratifiera d’un destin plus enviable. De nombreux voyages en avion sont entrepris, très loin, sans que l’on sache trop ce qu’il advient après. L’écrivain n’en fait qu’à sa tête, et comme il était plutôt bien luné vis-à-vis de ses personnages, il leur réserve à presque tous une happy end qu’il semble avoir décidé à la dernière minute.

Jean Echenoz s’amuse tellement qu’il n’hésite pas à intervenir en personne dans le roman à coups de première ou de troisième personne, à partager ses avis avec ses personnages, comme dans ce passage :

Il avait l’air de très mauvaise humeur. Tu as l’air de très mauvaise humeur, observa Gloire. En effet, reconnut Lagrange, je suis de très mauvaise humeur (pp. 189-190)

Ce faisant, néanmoins, l'écrivain délivre un vrai roman réaliste. Ses héros, détectives minables, hommes ou femmes de média branchés, criminels sans scrupule, sont totalement caricaturaux. Mais à force de changer tout le temps d’avis et d’humeurs avec le narrateur, ils finissent par devenir plus touchants que bien d’autres personnages fictifs. Sans sens, sans direction, sans autre guide que l’instant, sans autre moteur que l’envie du moment, les histoires de Jean Echenoz ne sont plus de la littérature. Elles sont exactement comme la vie : chaotiques et pleines de surprises.

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