Arto Paasilinna écrit beaucoup de livres. Cependant, à quelques détails près, c'est toujours la même histoire qu'il raconte. Un jour, un événement survient dans la vie terne d’un citoyen finlandais, qui le précipite dans une suite d’aventures rocambolesques, et par la même occasion, vers une deuxième existence plus réjouissante que la précédente.
Dans La Douce Empoisonneuse, c’est d’une vieille dame dont il s’agit, la colonelle Linnea Ravaska, veuve respectable d’un ancien officier, qui a le malheur d’être régulièrement rackettée par un trio de jeunes délinquants stupides et sans scrupules, parmi lesquels son propre neveu. Elle s’en accommode, avec difficulté. Mais quand les voyous lui proposent de signer un testament en leur faveur, la vioque se rebiffe et envoie la police à leurs trousses. Forts mécontents de cette rebuffade, les trublions cherchent à se venger, pendant que leur victime se prend de passion pour la science des poisons.
Une fois de plus, Paasilinna imagine une histoire totalement invraisemblable et il exploite à loisir le comique de situation. On rit donc beaucoup avec les aventures de cette vieillarde déboussolée et des trois Pieds Nickelés qui veulent sa mort.
La douce empoisonneuse est de ces romans qui font passer pour de doux dingues ceux qui les lisent, hilares, dans les transports en commun. Les trois voyous étant particulièrement bêtes et méchants, les scènes désopilantes se multiplient. Il y a par exemple cette réception sabotée à l’Ambassade d’Argentine, le numéro d’un médecin septuagénaire qui se prend un instant pour un caïd de la mafia, ces tests d’empoisonnement sur d’innocents pigeons venus goûter les miettes de la vieille dame, et d’autres péripéties encore.
Et puis il y a cette nuée de personnages secondaires, ces imbéciles heureux dépassés par les événements, losers, has-been, dont Arto Paasilinna brosse le portrait chaque fois qu’ils croisent le chemin de la vieille Linnea. Il y a tous ces protagonistes improbables, tous ces gens qui mériteraient qu'on leur dédie un roman rien qu’à eux. Au cours de son parcours de serial killer involontaire, Linnea Ravaska croisera sans toujours les connaître une ancienne gloire aigrie de la flotte soviétique, un ferrailleur en bâtiment alcoolique et violent, un ingénieur forestier volage, une aide-cuisinière simplette, et tous ont leur lot d’aventures extraordinaires.
Moins que jamais, Paasilinna est réaliste. C’est gros, comme dans un film de Gérard Oury (mais en plus drôle). Par des coups du hasard, par de divines providences, par leur bêtise à tous, les gentils de son livre sont récompensés et les méchants sévèrement châtiés, même parmi les personnages secondaires. Ainsi voit-on le vilain Jari se planter gaillardement la seringue de la vieille dans le bras, convaincu qu’il s’agit de drogue, oubliant que Linnea a déjà empoisonné son ami. Et l’écrivain finlandais pousse le vice jusqu’à poursuivre cette histoire de vengeance après la mort de ses protagonistes, jusqu’aux Enfers, sous le patronnage de Belzébuth.
Tout ça n’est que conte, fantaisie, lubies de l’imaginatif Paasilinna. Mais il y a un peu de vrai dans la psychologie de ses personnages quand il met en scène des délinquants capables des pires outrages, des meurtriers, un homme qui bat sa femme, un mari adultère, et d’autres pécheurs encore, toujours convaincus de leur bon droit, quels que soient les méfaits qu’ils aient commis ou qu’ils s’apprêtent à perpétrer.
La morale est une notion bien subjective. Elle est pratique, elle est plastique, elle est flexible. Elle se transforme et s’accomode avec une grande facilité, semble nous dire l'auteur, en plus de répéter le message commun à tous ses livres, qu'on peut résumer ainsi : la vie, finalement, ce n’est pas si grave.
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