C'est l'histoire, toute simple, d'une vengeance. Un jour, l'ingénieur Jaatinen débarque à Kuusmäki avec pour mission de construire un pont au-dessus d'une rivière joliment appelée la Tuerie. L'homme est compétent, il se met à la tâche avec ardeur. Tout devrait donc aller pour le mieux. Mais dans ce village tranquille où, autrefois, pendant la Guerre Civile, les Blancs ont vaincu les Rouges, la présence du nouveau-venu dérange.
Libre penseur et homme de caractère, Jaatinen embauche les communistes locaux et sympathise avec, manifeste son penchant pour la bouteille, renvoie les importuns qui viennent inspecter son chantier et couche avec les jolies femmes du coin. Tout cela irrite tant que les notables locaux se liguent contre lui, qu'ils manigancent, et qu'ils obtiennent son licencement.
Cependant, l'ingénieur n'est pas du genre à se laisser faire. Plutôt que de quitter la ville qui l'a si mal reçu, il s'y installe, il y fonde une entreprise, il la transforme de fond en comble et, par un habile travail de sape, il gagne des partisans. A mesure que son pouvoir grandit, il prend une revanche méthodique sur chacun de ses adversaires : la police et le journal local sont forcés de rentrer dans le rang, il fâche le pasteur avec sa hiérarchie, il vole sa femme au proviseur, puis il ruine et destitue le maire, à la grande joie de ses amis ouvriers, enchantés par ce revirement.
Voici donc un Paasilinna comme les autres, avec la même morale que d'habitude. Un jour, un esprit fort décide d'oser, d'aller au-delà des conventions sociales. Et cela fait de lui un homme heureux, même si cela l'entraîne en parallèle dans une série d'aventures loufoques et rocambolesques, prétextes à maints comiques de situation.
La seule chose qui change dans ce roman, c'est qu'il est plus statique que d'autres du même auteur. Pas de road movie dans la froideur scandinave. Tout se passe au même endroit, dans cette ville de Kuusmäki qui, elle aussi, connaîtra le bonheur le jour où elle aura tenté l'impossible.
Pour le reste, c'est du Paasilinna pur jus, sauf que...
Sauf que celui-ci n'est pas du meilleur cru. Un homme heureux a beau avoir été la suite du très bon Lièvre de Vatanen, le grand manifeste de l'auteur finlandais, celui qui lui a apporté la célébrité, il s'avère nettement au-dessous. Moins de fougue, moins d'entrain, moins d'absurde. Trop d'explications sur les calculs commerciaux et politiques de l'ingénieur, trop de pages passées à nous expliquer comment il a rendu possible la transformation de Kuusmäki.
Pas assez de souffle, trop peu d'humour, pas de fou rire comme avec d'autres livres du même écrivain.
Et puis, avec l'histoire de ce macho sympa, avec les aventures de cet ingénieur qui finit bigame et roi du pétrole en ridiculisant des notables bêtes et méchants, avec cette fin "tout le monde est gentil", on se jurerait dans l'un de ces navets populistes pondus par le cinéma français en ces mêmes années 70. On se croirait dans l'un de ces films dont Jean Lefebvre, Henri Guybet ou Aldo Maccione étaient les acteurs fétiches.
Cet écueil, certes, Paasilinna l'a toujours dangereusement approché. Mais avant comme après ce roman-là, il aura su le faire avec davantage de classe.
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