Ah, le mythe du Robinson Crusoé ! Un genre en soi, décliné à l’infini en romans, en films, mais aussi en séries TV, en émissions de téléréalité ou en jeux vidéo. Avec l’inénarrable Arto Paasilinna, cependant, on peut en toute logique s’attendre à un sérieux renouvellement de ce thème usé jusqu'à l'os. Surtout quand les naufragés qu’il met en scène s’avèrent composés, entre autres, de bûcherons finlandais, de sages-femmes suédoises et d’un guérillero indonésien.
Ce roman, c'est l’essence même de l'intrigue paasilinnienne. Prisonniers du paradis parle en effet d’individus un peu ternes découvrant, à l’occasion d’événements singuliers, les délices d’une vie en marge de la société occidentale. L'auteur étant en terrain familier, on pourrait s'attendre à ce qu'il y soit au sommet de son art, qu'il exploite comme jamais son sens comique et son goût pour les situations saugrenues.
Et de fait, comme toujours avec le Finlandais, les scènes cocasses se multiplient au cours de cette année d’isolement sur une île du Pacifique passée par cinquante rescapés d’un crash aérien. Dans la jungle, les sages-femmes suédoises trouvent le moyen de monter un centre de planning familial, les bûcherons finlandais et l’équipage anglais une distillerie. Et, alcool et solitude aidant, tous ces naufragés perdent bientôt toute inhibition en matière de sexe et de fête.
Les traits d’humour du Finlandais fonctionnent d'autant mieux qu’ils ne sont pas forcés, qu’ils sont écrits l’air de rien, sans chichi, avec fluidité et sur un ton badin, comme un élément normal du récit, comme si tout coulait de source :
Un jour, autant par plaisir que par intérêt, j’allais me promener sur la plage avec Ingrid, la cuisinière en chef, une jeune Suédoise sympathique aux cheveux bruns. Nous discutâmes de tout et de rien. Elle me parla de sa famille, en Suède, et moi de la mienne, en Finlande. Nous nous embrassâmes, et, comme elle avait un stérilet, nous poussâmes les choses un peu plus loin. Que pouvions-nous faire de plus agréable ? (pp. 71-72)
Comme avec Le lièvre de Vatanen et d’autres de ses romans, Paasilinna promeut une morale vaguement écolo, une critique un peu niaise de la société de consommation, un point de vue mollement hippy. Mais il ne faut surtout pas lire cet auteur comme le promoteur d’un modèle de société. Ses leçons, il les adresse à l’individu plutôt qu’à la collectivité quand il célèbre les vertus de l’amitié, les relations simples et un détachement sain des vicissitudes de la vie quotidienne.
D'ailleurs, même si certains refuseront de partir, l’île perdue n’est pas salvatrice en elle-même. C'est l'expérience qu'elle leur apporte qui permettra à certains, par exemple la rigide Mme Sigurd, de ne plus vivre tout à fait la même vie qu'autrefois, une fois de retour dans leur triste et froide Europe.
Prisonniers du paradis est donc un Paasilinna comme les autres, un roman assez représentatif de sa très réjouissante bibliographie. Mais il laisse tout de même un léger sentiment de déception. L’écrivain, habituellement hilarant, ne donne pas ici la pleine mesure de son talent, il n’exploite qu’en partie l’immense potentiel comique de la situation.
Comme dans d’autres de ses livres, pas toujours ses meilleurs, une bonne part du récit est dédiée aux aspects les plus pratiques de la survie dans la jungle. Trop souvent, trop longtemps, l’auteur nous abreuve de détails triviaux sur la vie des rescapés, racontant avec moult explications comment le héros s’y prend pour bâtir une cabane sur pilotis, ou pour capturer un petit animal. Plutôt que de partir dans ses délires coutumiers, Paasilinna reste proche du roman de naufragé traditionnel, de Robinson Crusoé, il ne le renouvelle pas suffisamment, laissant l'impression regrettable d'avoir gâché l'occasion d'écrire l'un de ses meilleurs livres.
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