Le truc de Paasilinna, c’est le comique de situation, les positions absolument incongrues où il place ses héros, ces manières de grands enfants et d’épicuriens qu’ils adoptent quand ils décident de ne plus se soucier des conventions de la société, quand ils découvrent que le bonheur passe par l’assouvissement sans retenue des désirs les plus simples. Toutefois, ce comique de situation n’est pas le seul argument en faveur de ce Paasilinna là qui, sans être l’un de ses meilleurs romans, est plutôt un bon cru.
Denoël :: 2001 / 2009 :: acheter ce livre
Traduit du Finnois par Anne Colin du Terrail
Alors, qui nous a-t-il mis cette fois ? Un géomètre ? Un trappeur lapon ? Un ingénieur des ponts et chaussées ? Non, cette fois, Arto Paasilinna a carrément opté pour un industriel plein aux as. Mais attention, pas n’importe quel industriel. On connaît bien l’écrivain, et il n’allait sûrement pas choisir un héritier, un rond-de-cuir, un businessman terne. Son Rauno Rämekorpi, il serait plutôt du genre self-made man qui a bâti sa fortune à la force du poignet, un brave gars finlandais qui a vraiment travaillé plus pour gagner plus.
Et l’élément déclencheur, quel est-il ? Une envie de suicide ? L’apparition d’un lièvre, ou d’un vieil homme amnésique ? Non plus. Dans cet énième roman, il s’agit tout simplement d’une fête d'anniversaire, doublée d’une forte allergie. Alors qu’il célèbre ses soixante ans, Rämekorpi se voit sommé par sa femme, que le pollen incommode, de se séparer des innombrables fleurs qu'il a reçues. Voilà donc notre homme parti pour une distribution de bouquets à travers et au-delà de la ville, le temps d’un road movie improbable, dans une pure veine Paasilinna, où l'industriel est secondé par le chauffeur de taxi Seppo Sorjonen, déjà croisé dans un autre de ses romans, La Cavale du Géomètre.
Et après ? Eh bien après, comme d’habitude avec le Finlandais, ce sont les fantaisies les plus folles, des délires d’autant plus grands que ce héros là a largement les moyens de les financer. Plutôt que de jeter ses fleurs à la décharge, comme il se doit, Rämekorpi décide d’honorer neuf maîtresses, et pas seulement en leur offrant des bouquets, ou en faisant bonne chère. A chaque visite, en effet, cet homme encore très vigoureux sait donner de sa personne, satisfaire toutes les libidos, consoler toutes les peines.
Le truc de Paasilinna, c’est le comique de situation, les positions absolument incongrues où il place ses héros, ces manières de grands enfants et d’épicuriens qu’ils adoptent quand, après un certain élément déclencheur, ils décident de ne plus se soucier des conventions de la société, quand ils réalisent que le bonheur passe par l’assouvissement sans retenue mais sans méchanceté des désirs les plus simples. Toutefois, ce comique de situation n’est pas le seul argument en faveur de ce Paasilinna là qui, sans être l’un de ses meilleurs romans, s'avère un plutôt bon cru.
L’argument principal des Dix Femmes de l’Industriel Rauno Rämekorpi, c’est la galerie de portraits féminins que nous dresse l’écrivain. Rien, en effet, ne résiste aux envies de l’industriel. Tout y passe. Toutes les générations, des jeunettes au troisième âge. Toutes les professions et les classes sociales, de l’ouvrière communiste à la bourgeoise, en passant par la femme de ménage et la journaliste alcoolique. Toutes les conditions de santé, des biens portantes aux cardiaques et aux cancéreuses. Rämekorpi trouve de la beauté et de la fraicheur à toutes les femmes, même quand elles sont souffreteuses, même quand elles ont un sein mutilé, même quand elles ont 70 ans. Universellement, la femme est un objet d’amour et d’attention. Alors, autant en avoir plusieurs.
A travers toutes ces femmes, à travers l’histoire de cet homme qui a vécu, Paasilinna parvient aussi à placer quelques considérations sociales. Ecrit en 2001, ce livre présente aussi, ici ou là, un bilan des grandes idéologies du XXème siècle, la communiste, la capitaliste, les religieuses, la féministe. Elles sont toutes abordées, au moins ponctuellement, sur un ton populiste et bon enfant, à la façon de notre Groland à nous. Toutes les idées, toutes les tocades du siècle précédent, sont critiquées, mais avec compréhension et bienveillance, comme si, en ce début de XXIème siècle, nous nous réveillons de délires collectifs, et qu’il ne restait au fond, comme seuls principes valables et universels, que les plaisirs de la chair et l’amour du prochain.
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