La Promesse de l’Aube a beau être l’autobiographie, largement romancée, de Romain Gary, c’est un livre comparable à tous ceux qu’il a pu écrire par ailleurs. Comme tous les autres, il nous en apprend un peu plus sur l’homme Gary. Et comme eux, il nous en dit autant sur nous tous, nous rappelant cette fois, à travers la relation qui a lié l’auteur à sa mère, combien nous sommes irrémédiablement conditionnés par les attentes nos parents à notre égard.

ROMAIN GARY - La Promesse de l'Aube

Gallimard :: 1960 :: acheter ce livre

Le premier atout de La Promesse de l’Aube, c'est qu'il s'agit d'une véritable histoire, du genre à accrocher et à interpeller un public large (Jules Dassin en fit sans mal une adaptation cinéma), celle d'un petit métèque immigré à Nice depuis l’Europe de l’Est et qui, sous l’impulsion d’une mère possessive, frustrée, mais pleine de ressources, rejoindra la France Libre, y risquera sa vie, s’y fera distinguer par le Général de Gaulle, deviendra un grand écrivain et trouvera la gloire qui lui était promise à l’aube de sa vie.

On y trouve une intrigue avec des mystères, du suspense et une chute tragique, un cadre dramatique, celui de la montée du fascisme et de la Seconde Guerre Mondiale, de l’aventure et des péripéties, et même une pointe de mélo, avec le récit de cet amour absolu et vouée à mal se terminer, avec l'histoire de ce petit garçon qui, tel le vilain petit canard, connaîtra finalement la gloire malgré les préjugés ou la pauvreté. Il y a encore et toujours le style de l’auteur, son sens de l’aphorisme, du paradoxe, et de l’aphorisme paradoxal ; son tragi-comique, cette manière de parler avec cynisme, humour et ironie de choses personnelles et tragiques.

Enfin, nous y trouvons un éclairage sur l’auteur, et de manière encore plus patente que dans ses autres livres, puisque c’est lui-même qu’il met cette fois en scène, puisqu’il nous raconte comment a été façonné Romain Gary, le gaulliste et le résistant, le diplomate et l’écrivain. Parce qu’il nous relate les expériences exceptionnelles qui l’ont forgé : la Guerre et la xénophobie ; un père absent et inconnu ; un face à face exclusif avec sa génitrice, aimante mais étouffante, caricature de la mère juive ; une vie d’errance où le seul point d’ancrage est l’image fantasmée d’une France fière, généreuse et éternelle.

Mais ce coup de projecteur sur la figure exceptionnelle de Romain Gary ne serait rien si elle ne faisait pas écho à nos propres vies d’hommes normaux. En nous relatant son histoire, l’écrivain nous conte aussi la nôtre. Avec le portrait de cette mère omniprésente à l’amour étouffant, il nous détaille un phénomène psychologique que nous connaissons tout, il nous explique comment nous sommes conditionnés par le regard de l’autre, par ce qu’il comprend de notre personnalité, par ce qu’il anticipe de notre vocation et de notre destinée. A fortiori quand cet autre est l’un de nos parents.

Rien n’est jamais gratuit, et l’amour filial ne fait pas exception. Nos parents ont des exigences, et elles sont à la mesure des sentiments qu’ils nous portent : absolus, bien souvent. Comme pour ce Gary qui poursuit une ambition de grandeur qui n’est pas la sienne, mais celle de sa mère, toute notre vie n’est qu’un vaste règlement de compte avec nos parents. On cherche à les satisfaire, ou au contraire, à les choquer, à les punir pour les espérances inouïes ont placées en nous, et cele au-delà même de leur mort.

Celui que l’on cherche à être, ou parfois, à ne surtout pas être, ce n’est pas nous, c’est un autre. L’auteur décrit particulièrement bien ce mécanisme quand il présente l’envers du décor, quand il montre que l’homme qu’il est devenu n’est pas réel, qu’il est en partie une image, une construction. Que le vrai Gary est parfois lâche et médiocre, que ses exploits de Résistant tiennent aussi à la nécessité et au hasard, aux coups de tête. Qu’en ces heures où il avait rejoint la France Libre, il passait autant de temps à se perdre et à se morfondre en Afrique qu’à risquer sa vie dans le ciel de l’Europe. Que sa vocation littéraire n’a été qu’un pis-aller, après avoir découvert qu’il était inepte à toute autre forme d’expression artistique.

Mais il était tenu par une dette, celle que l’on contracte vis-à-vis de ses parents quand ils font le sacrifice de nous donner une part, ou totalité, de leur vie. Que ce que nous appelons la conscience, cette voix qui nous guide ou nous tourmente tout au long de la vie, qui nous pousse à aller au-delà de nos désirs et de nos aspirations, ce n’est rien d’autre que celle de nos géniteurs, qui, même morts, continuent inlassablement à nous réclamer leur dû.