N’est pas supérieur celui qu'on croit. Ainsi pourrait-on résumer la morale de ce Paasilinna de bonne facture, dont le thème central est la religion, et où un ours débonnaire donne des leçons de vie à un pasteur quinquagénaire en pleine crise de conscience. Le tout, comme à l’accoutumée, au beau milieu d’aventures picaresques et particulièrement loufoques.

ARTO PAASILINNA - Le Bestial Serviteur du Pasteur Huuskonen

Denoël :: 1995 / 2007 :: acheter ce livre
Traduit du Finnois par Anne Colin du Terrail

L’opératrice radio songea qu’elle s’était trouvé là un drôle d’amant, un homme comme on en fait peu : un prêtre finlandais défroqué, arrivé dans l’île avec un ours qui dansait et faisait des signes de croix dans la boîte de nuit d’un paquebot – et voilà qu’en plus il avait trouvé moyen de s’installer chez elle et tentait de prendre contact avec des extraterrestres. Une femme ne se méfie jamais assez de ce que le destin lui réserve (p. 237).

Voilà. Rien qu’avec cet extrait, c’est clair, nous sommes en plein Paasilinna. Et comme toujours, comme absolument toujours, c’est la même histoire que le Finlandais nous relate : celle d’un homme qui, après quelque événement singulier, décide d’abandonner sa vie rangée pour se lancer, sans s’en porter plus mal, dans de rocambolesques aventures.

Cette fois, notre homme est un pasteur, et l’élément déclencheur est cet ours orphelin qu’on décide de lui offrir, par facilité et par pingrerie. Sa femme ne supportant pas l’animal, pas plus que les lubies de son mari, notre homme se décide à changer de vie, et s’engage bientôt dans un grand voyage improvisé qui l’amène à faire le tour de l’Europe avec son animal. Il se lance dans une aventure picaresque parcourue de péripéties, de trajets en train ou en bateau, d’épreuves sportives improbables (le javelot ascensionnel…) et de rencontres impromptues avec de nouvelles maîtresses et des personnages hauts en couleur, marins irlandais ou routiers finlandais, et généralement portés sur la bouteille.

Comme d’habitude, tout cela sent le sans queue ni tête. Mais l’histoire, comme toujours, est l’occasion pour Paasilinna de faire valoir quelques uns de ses principes anarcho-écologistes. Et avec un pasteur dans le rôle principal, c’est la religion qui en prend cette fois pour son grade, par exemple quand l’auteur met en scène une conférence œcuménique qui finit par tourner au pugilat, jusqu’à ce que l’ours vienne y mettre bon ordre. Ou encore, quand il nous présente les admonestations de l'évêque à l'endroit de son pasteur, pleines de cette hypocrisie en béton armé dont toutes les Eglises sont bâties.

En parallèle, à mesure qu’il s’enfonce plus loin en Europe avec son ours, le pasteur Huuskonen, qui a perdu la foi, traverse une crise de conscience, et il se met en quête de la vérité. Cela commence avec quelques considérations iconoclastes, où l’on imagine que le Sauveur serait apparu en Finlande, ou au temps de Staline :

Avant de s’endormir, le pasteur Oskar Huuskonen songea vaguement que si Jésus avait été finlandais, marcher sur les eaux n’aurait pas été un bien grand miracle, en tout cas en hiver. Ce n’était pas une question d’ardeur de la foi, mais d’épaisseur de la glace (p. 121).

Puis notre homme envisage l’existence d’une vie extraterrestre, et se met à l’écoute d’un signe du ciel via son programme SETI à lui, au grand dam de sa maîtresse russe, et de l’ours lui-même. Plus tard, notre pasteur part dans des délires plus grands encore, où il est question d’Atlantide, de disparition des dinosaures et de bombe atomique.

Cependant, on devine que la vérité, ce n’est pas le pasteur qui la détient, mais cet ours qui, par ironie, se nomme Belzébuth. En apprenant tous les gestes religieux imaginables, prière musulmane et signe de croix, l’ursidé fait de ces cérémoniaux autant de simagrées, il rappelle que l’homme n’est qu’un animal comme un autre, que les considérations sur la transcendance et l'origine du monde ne devraient pas être son affaire :

Puis la foudre tomba sur la colline, la terre trembla comme si Dieu lui-même l’avait frappée. Mais Belzéb, au lieu de se jeter face contre terre pour prier l’Eternel, resta vautré, le ventre plein, sur sa couche de branchages. Les bêtes sauvages n’ont pas besoin de preuves de l’existence de Dieu, et n’ont pas peur de l’orage (p. 223).

La religion est une affaire dangereuse, et cela même Monseigneur Ketterström, l’évêque qui supervise notre pasteur et dont Paasilinna, vachard mais jamais méchant, pardonne bien volontiers la fausseté et les péchés mignons, l’a bien compris.

Mon cher Oskar. Si tu parvenais à développer de nouvelles valeurs, voire une philosophie entière, ou une véritable idéologie, qu’en résulterait-il ? Les masses s’extasieraient et tenteraient aussitôt de se convertir les unes les autres… on en viendrait de nouveau à professer et à contraindre, à surveiller la pureté du dogme, à emprisonner les contestataires, à torturer et à tuer tous les dissidents (p. 148).

Au lieu de perdre son temps avec des considérations qui nous dépassent, l’auteur, plus agnostique qu’athée, nous recommande tout simplement de ne pas nous en soucier, et de nous contenter des bonheurs simples, des bonheurs animaux, les vrais, les seuls qui comptent, et dont chacun de ses livres nous offre de multiples illustrations :

L’atmosphère était paisible et détendue. Une jeune femme russe, assise nue devant le chalet, peignait ses cheveux propres, avec à ses côtés un ours gris brun qui se lissait le poil et, sur les marches de la terrasse, deux Finlandais rougeauds occupés à boire de la bière et manger des sandwiches. Oskar Huuskonen, le gros orteil enfoncé dans le sable rouge, songea qu’il fallait finalement peu de chose pour être heureux (p. 306).