Orbit :: 2003
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Explique cela, tout d'abord, la lenteur de l'action. Dans ce livre, il ne se passe presque rien. A peu de chose près, on retrouve les personnages dans la même situation à la fin qu'au début. Perrin cherche toujours à extirper sa femme des Shaido ; Mat se démène à nouveau pour s'éloigner d'Ebou Dar, après avoir enlevé malgré lui l'héritière du trône Seanchan ; Elayne s'efforce toujours d'affermir son emprise sur le royaume d'Andor ; et Egwene stationne pendant ces près de 800 pages devant Tar Valon, sans rien entreprendre vraiment pour prendre la Tour Blanche, hormis dans les toutes dernières pages.
Ces ultimes pages, c'est l'autre déception de ce livre. Auparavant, Jordan remerciait la patience de son lecteur en lui réservant une apothéose, un feu d'artifice final, via un coup de théâtre, un déluge de magie, des batailles dantesques, ou les trois à la fois. Mais cette fois, rien du tout. Oh, si, ça s'agite bien un peu du côté de Mat, qui échappe de peu aux griffes des Seanchan, et qui voit s'étioler son emprise sur la jeune femme qu'il a kidnappée. Et puis survient avec Egwene un événement imprévu. Mais cela est strictement tout.
L'une des raisons de cet ennui, c'est l'absence de Rand al'Thor, le personnage principal de cette histoire à multiples protagonistes. Il n'apparait que dans une poignée de chapitres, puis en toute fin, dans les deux pages de l'épilogue. Mais pour le reste, on ne le voit pas. Jouer sur l'absence d'un des héros n'est pas un procédé neuf chez Jordan. Il l'a déjà fait avec deux autres volumes, avec Perrin, puis avec Mat. Mais Rand, c'est tout de même le centre de l'histoire, celui dont les aventures sont les plus critiques et exaltantes.
Si on ne le voit pas, c'est qu'une bonne part de Crossroads at Twilight, de manière inédite avec La Roue du Temps, revient en arrière. Il commence avant l'événement spectaculaire qui prenait place à la fin du livre précédent. Il montre aussi les ricochets de ce dernier sur les différentes intrigues parallèles dont le cycle est fait. C'est d'ailleurs le seul élément qui captive le lecteur au début : la fin de de Winter's Heart était pleine de promesse pour la suite, et en lisant sa suite, on meurt d'envie d'en connaître le résultat et le dénouement.
Peine perdue, cependant. Jordan fait beaucoup de promesse, il laisse entrevoir des actions grandioses, des situations tragiques, des dilemmes cornéliens, mais sans aller au bout. Ou plutôt, il les repousse toujours, espérant nous retenir quelques livres de plus dans son monde. La frustration est son ressort, c'est ainsi qu'il tient captif le lecteur. Cette fois encore, il nous émoustille, pendant le moment le plus marquant du livre, celui où, pour la première fois, le Dark One apparaît en personne ; et puis après, on oublie.
Robert Jordan ne fait pourtant pas que se répéter. Il sait aussi faire progresser ses héros. Ceux-ci évoluent, grandissent, mûrissent, dévoilent de nouveaux traits de caractères. Ainsi, dans ce même roman, et Perrin, et Mat, dévoilent des faces plus sombres de leurs personnalités. L'un comme l'autre va faire preuve d'une grande cruauté. Mais là encore, cela n'est qu'un instant dans le récit, un bref éclair, au beau milieu de scènes généralement statiques.
Il est dit que l'auteur avait prévu d'écrire 12 tomes, mais qu'après son décès l'éditeur et son successeur, Brandon Sanderson, auraient finalement décidé de diviser son dernier livre, inachevé, en trois, portant leur nombre total à 14. A lire tous les épisodes depuis le sixième, cependant, domine l'impression que Jordan voulait en fait ne jamais finir la série, traire la vache à lait ad vitam aeternam, jouer éternellement la montre. Mais il n'en a rien été. La Roue du Temps aura bel et bien une fin. Et tant mieux, car à l'issue de Crossroads at Twilight, on n'a plus qu'une envie : que ce dénouement arrive enfin, et vite.
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