Au onzième volume, ça décolle enfin. Sur les cinq précédents, le cycle de La Roue de Temps s'embourbait passablement. Ce n'était plus que réunions, discussions et monologues intérieurs. Les différentes intrigues qui structuraient la saga s'éternisaient, elles ne semblaient jamais devoir atteindre de conclusion. Cette fois cependant, ça y est. Elles s'achèvent, et tout semble enfin prêt pour l'acte final, pour la confrontation annoncée depuis le premier tome entre Rand al'Thor, le Dragon Réincarné, et Shai'tan, le Dark One.
Orbit :: 2005
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Au terme de centaines de pages d'attente, Perrin entreprend enfin de partir à la rescousse de son épouse, Elayne sécurise pour de bon le trône d'Andor et Mat parvient à rejoindre son armée, tout en permettant à Tuon de rentrer saine et sauve parmi les siens. Et si rien ne semble encore joué du côté d'Egwene, sa capture par Elaida a le mérite de donner un nouveau souffle à ses aventures. Il en est de même d'autres péripéties qui s'annoncent, par exemple cette expédition pour secourir Moiraine (qui donc n'est pas morte...), et de ces pages finales où, après la chute de quelques Darkfriends, on réalise que le Dark One a gardé dans son jeu ses cartes les plus dangereuses.
Oh, tout n'est pas parfait, pourtant. A la fin de certaines des intrigues, on se demande parfois : tout ça pour ça ? C'est par exemple le cas pour la libération de Faile par Perrin, qui ramène les personnages presque au même point qu'avant son kidnapping. On imaginait une fin plus tragique, on pensait que Jordan allait exploiter la relation qui s'était nouée entre Faile et Rolan, qu'elle serait source de complications. Mais non, même pas. Et le comportement inattendu (enfin, pas tant que ça) d'Aram, dont la psychologie n'a de toute façon jamais été compréhensible, ne se fonde que sur une pauvre explication.
En fait, tout est toujours comme si Robert Jordan n'aimait pas l'action, qu'il ne la mettait en scène qu'à contrecœur, jugeant que le lecteur serait demandeur, mais leur préférant personnellement ces causeries interminables dont ses livres sont remplis. La plupart du temps, les scènes un peu plus animées arrivent comme un cheveu sur la soupe, comme avec la succession d'événements grâce auxquels Elayne devient reine d'Andor. Quant aux deux batailles qui animent le livre, l'une menée par Mat, l'autre par Perrin, elles se déroulent à peu près comme ces derniers les avaient prévues, et se révèlent plutôt pauvres en rebondissements, en tension, et en ressorts dramatiques.
Il est de même pour les aventures de Rand, toujours en retrait dans ce livre. Là encore, pour remplir son quota d'action, Jordan utilise sans conviction de vieux ressorts usés : d'abord, l'attaque de trollocs, les monstres du coin, destinés comme toujours à finir en charpie ; et puis un nouvel affrontement entre le principal protagoniste de l'histoire et un Forsaken, le premier depuis longtemps. Et là encore, même si Rand ne sort pas sans dégât de ce nouveau combat, son déroulement était cousu de fil blanc. Le héros lui-même le reconnaissait, il était clair depuis le début qu'il allait s'engager dans un piège.
Tout n'est donc pas encore convaincant. Seules les aventures de Mat, qui forment par chance une part substantielle du livre, et dans une moindre mesure celles d'Elayne et d'Egwene, y sont vraiment prenantes. Mais il y a tout de même tout le reste, tous les points forts habituels de l'auteur : cette fantasy grand écran où se croisent et s'influencent de manière assez huilée de multiples intrigues et destins ; cette dimension géopolitique plutôt maîtrisée ; ce système de magie original et consistant ; cette promesse sans cesse renouvelée d'une apothéose grandiose. Tout ce qui, en dépit de centaines de pages où dominait le remplissage, incitait le lecteur à persévérer.
Le seul regret, au fond, c'est que l'auteur n'accompagnera pas les adeptes de la série jusqu'à son terme. Cet onzième volume, en effet, fut son dernier. Au moment même où le suspense reprenait, où l'ennui se dissipait et où la confrontation finale s'annonçait, Robert Jordan allait mourir. A moins que ce soit parce qu'il sentait sa fin, précisément, qu'il a cherché à précipiter le dénouement de sa saga, sans y parvenir, laissant à un successeur le soin de nous cueillir au moment le plus critique de sa longue et ambitieuse épopée.
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