TOR Fantasy / J'ai Lu :: 1985 / 1999
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Comme le premier livre, celui-ci s'emploie aussi, dans un cadre fantasy apparemment banal (la confrontation entre des rebelles et un empire malveillant, clos par une bataille grandiose), à brouiller les frontières entre le Bien et le Mal, par le truchement d'un troisième camp. Certes, Shadow Lingers mettait déjà en scène cette autre faction, celle du Dominator, l'ancien conjoint de la Lady, un mage plus terrible qu'elle encore. Mais les époux étaient alors tous deux présentés comme mauvais. Les nuances du premier volume n'étaient plus aussi présentes, sinon via le personnage de Raven qui, en luttant par le mal contre le mal, avait préparé le terrain au pire, ou encore par le biais d'un autre protagoniste, l'aubergiste Shed. The White Rose, toutefois, restaure cette ambigüité, en développant comme il ne l'avait encore jamais été le personnage de la Lady, et en recourant à un renversement des alliances entre les trois camps en présence.
Glen Cook n'est pas un grand conteur, il n'est pas un génie de l'intrigue. Ses rebondissements sont parfois prévisibles, comme le comportement du Limper dans la scène finale. Ses personnages ne sont pas toujours utilisés à leur plein potentiel, comme Bomanz ou Corbie, qui sont au cœur de deux des trois intrigues racontées au début, mais occupent un rôle frustrant à la fin de l'histoire. On sent aussi, dans le déroulé de celle-ci, une certaine dose d'improvisation. Aussi, avec son dragon endormi, ses menhirs qui parlent et ses raies volantes, la fantasy de Cook est à l'ancienne, sans réalisme outrancier, sans système de magie expliqué de manière quasi rationnelle. Bref, The Black Company, dans son ensemble, est une œuvre très imparfaite. Mais là où Glen Cook excelle, là où il a été séminal, annonçant l'avènement de la fantasy plus subtiles et ambiguë qui est celle de notre époque, c'est dans la mise en scène de la vie militaire, et c'est (les deux sont d'ailleurs très liés) dans sa manière de contester le manichéisme.
Dans les deux premiers volumes, il montrait que les gentils ne l'étaient pas toujours autant que cela. Dans le troisième, il emprunte le chemin inverse. En s'attardant, en fin de volume sur le personnage de la Lady, en la transportant au cœur de l'intrigue, à proximité du principal narrateur, Croaker, avec lequel elle entretient une relation trouble, l'auteur l'humanise. Et c'est d'ailleurs bien là la morale de l'histoire, partagée à plusieurs reprises par Croaker lui-même : n'approche jamais de ton ennemi, ne le côtoie jamais, ne cherche jamais à aller au-delà de l'image terrible qu'en fait la propagande ; car alors tu pourrais t'attacher à lui, te rendre compte qu'il est un homme (ou une femme, en l'occurrence), et au bout du compte faillir à ta mission. Ou bien, au contraire, cherche à le connaître, et la guerre deviendra moins facile, la paix et le compromis seront de plus grands impératifs.
Le principal regret avec ce livre, c'est que Glen Cook n'aille pas au bout de la démarche. Ainsi le Dominator, pendant ses rares apparitions, ressemble-t-il à un vilain méchant furieux de dessin-animé. Avec ses quelques sbires et complices, il symbolise ce dont dont l'auteur, ailleurs, cherche à contester l'existence : le mal absolu. Mais bien sûr, le livre ne nous laisse pas le loisir de le découvrir dans les détails. Et il fallait bien un contraste, un mètre-étalon, un Sauron, pour pouvoir mesurer de manière fiable le véritable degré de méchanceté et de machiavélisme de la Lady.
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