Harper Voyager / Bragelonne :: 2014 :: joeabercrombie.com
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Ce premier volume d'une nouvelle saga, qui prend place dans un monde à l'ambiance viking, et donc différent de celui que partageaient les six livres précédents, raconte effectivement une histoire banale : la vengeance d'un prince, Yarvi, dépossédé du trône qui lui était dû ; ses épreuves et son parcours, vers la rédemption et la réparation des torts qu'il a subis. Mettant en scène un garçon limité par un handicap physique, à qui l'on confie soudain des responsabilités auxquelles il n'était pas préparé, il prend la forme du roman d'apprentissage, et il multiplie les poncifs de la fantasy : la réapparition impromptue d'hommes qu'on avait laissés pour mort ; le retour d'un roi exilé ; la formation et les errances d'une compagnie bigarrée ; des amitiés forgées par la traversée en commun des mêmes difficultés ; une confrontation finale dantesque ; et même une histoire d'amour, prude et platonicienne.
On ignore si cette normalisation vient d'une commande de l'éditeur, ou d'une volonté réelle de l'auteur, mais on pencherait plutôt pour la deuxième option. Derrière son cynisme et ses histoires tordues, l'Anglais a déjà laissé percer son goût pour des intrigues classiques, ce qui est d'ailleurs sans doute le cas de la plupart des représentants de cette génération d'écrivains fantasy pessimistes, émoustillés par les histoires de leur enfance, mais se sachant trop grands pour les reproduire en l'état. La preuve la plus éclatante de l'attirance d'Abercrombie pour le romanesque à l'ancienne, c'est Best Served Cold, son meilleur roman, qui racontait déjà l'histoire d'une vengeance, et était en quelque sorte une version actualisée du Comte de Monte Christo.
L'intrigue mise à part (laquelle suivait d'ailleurs de nombreux détours), Best Served Cold était cependant du pur Abercrombie, alambiqué, tortueux et noir à souhait. Il en est différemment pour Half a King : le héros de ce livre est un jeune garçon gentil, victime de terribles injustices, auquel les adolescents pourraient aisément s'identifier. Ce n'est plus un tortionnaire dépressif, un barbare mélancolique ou un noble arrogant, comme dans The First Law. Les protagonistes ont des psychologies plus simples, moins fouillées, plus typées. Et par moments, quand se tissent des liens entre Yarvi et ses compagnons d'infortune, ou quand ceux-ci sont secourus par de braves demi-sauvages au beau milieu d'un paysage enneigé, on nage dans les bons sentiments.
Pourtant, ici ou là, le naturel d'Abercrombie reprend le dessus. D'abord, même en version simplifiée, la prose de l'Anglais se dévore. C'est d'autant plus le cas que ce livre là a un but, une direction, une fin, contrairement à d'autres dans l'œuvre de l'écrivain. Aussi, le monde qu'il nous décrit, gouverné par les enjeux de pouvoir et les envies de richesse des grands, se montre assez proche de celui des livres précédents. Et puis, surtout, ici ou là, on retrouve l'ambigüité et le relativisme moral qui présidaient ailleurs, chez l'Anglais. La grande morale des histoires précédentes est même explicitée telle qu'elle, quand Rulf, l'un des compagnons de Yarvi, philosophe de la façon suivante :
If life has taught me one thing, it's that there are no villains. Only people, doing their best (p. 359).
Si la vie m'a appris une chose, c'est qu'il n'y a pas de méchants. Il n'y a que des gens, qui font de leur mieux.
Le mal n'existe pas. Il n'y a que des hommes, qui cherchent à se tirer de leurs problèmes, et à faire quelque chose de leur vie. Et parfois, sans intention fondamentalement mauvaise, ils le font au détriment de leurs semblables.
Cette phrase survient à la fin, et ce n'est pas un hasard. C'est le meilleur moment du livre, celui où on retrouve Abercrombie. Au terme de son apprentissage, Yarvi, n'est pas nécessairement devenu une meilleure personne. Il est juste déniaisé, il a appris à se défendre et à manipuler les hommes. On le voit par exemple quand, après avoir sué sang et eau en tant que galérien, il se trouve lui-même à la tête d'un bateau, et demande sans pitié aux rameurs de décupler leurs efforts. Cette face du héros apparaît encore mieux lors de la scène finale. Pas celle, pas folichonne, où il affronte et il défait l'usurpateur du trône, avec sa révélation qui est en fait tout sauf une surprise. Non, la vraie scène finale, celle des ultimes pages, où une énigme se résout, et où l'histoire prend pour de bon un tournant moins attendu. Où l'on retrouve en fait, tel quel, tout ce qu'on aime chez Joe Abercrombie.
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