Deux frères séparés par une grande différence d'âge, Marceau et Mon Cadet, s'aiment, d'un amour qui confine à l'homosexualité. Le plus âgé, un homme rustre et puissant, se veut l'ange gardien du plus jeune. Il le couve de tous les égards. Leur attachement mutuel est tel, qu'à tour de rôle, ils se sauvent réciproquement la vie. Mais un jour, quand le colosse Marceau, qui s'est fait entretemps une réputation de lutteur, se fait battre par Mon Cadet, il le tue d'un coup de serpe, puis il se laisse mourir. Il n'a pas supporté, sans doute, de ne plus pouvoir être le protecteur d'un frère devenu plus fort que lui.
Voilà, en gros, l'intrigue des Deux cavaliers de l'orage, un livre de Jean Giono moins connu que d'autres, bien qu'il ait fait l'objet en 1983 d'une adaptation cinématographique (en vérité peu fidèle au roman). Il nous conte une histoire simple aux faux airs de tragédie grecque. Mais cet ouvrage, qui semble avoir tant compté pour Giono qu'il l'a réécrit et publié deux fois (pendant l'Occupation, et puis, dans une version intensément revue et corrigée, dans les années 60), porte aussi, de manière ostensible, la marque de l'écrivain.
C'est, d'abord, un roman campagnard et rustique. Il prend place dans sa région, un arrière-pays provençal sauvage et montagnard. Il nous raconte le quotidien de personnages ruraux, rudes et terre-à-terre, aux instincts d'animaux, au verbe rustre, et pourtant remplis de sagesse, philosophant sans cesse, sans en avoir l'air, au cours de discussions centrées sur des sujets triviaux.
Deux cavaliers de l'orage sent aussi à plein nez la terre, la boue et le sang. Il est d'une âpreté et d'une violence nauséeuses, quand par exemple il nous décrit les combats brutaux de Marceau, la façon avec laquelle, d'un seul coup de poing, il abat un cheval fou, ou encore la manière répugnante par laquelle il guérit son cadet d'une maladie, le croup.
C'est aussi, par instants, un roman expérimental. Giono y varie les modes narratifs. Son récit est parfois rapide, écrit à grands traits, chevauchant les années. Ou bien, il s'éternise, il est ralenti, toujours dans un objectif particulier.
C'est le cas par exemple de cet épisode, central dans le déroulé du roman, où les femmes de la maisonnée de Marceau s'engagent dans un dialogue (et parfois des monologues) à bâtons rompus. C'est trop long, c'est frustrant, mais cela traduit au mieux l'attente, dans l'angoisse de la nuit, de leurs hommes qui tardent à rentrer. A mesure que cette discussion démesurée progresse, il devient évident qu'en parallèle il se passe quelque chose de grave. Cette longue parenthèse prépare cette apothéose crispante, où Marceau revient chez lui, tard, avec un inquiétant sac tout sanguinolent.
Deux cavaliers de l'orage est, pour l'essentiel, un roman d'ambiances. Giono installe d'autres moments d'angoisse encore, comme par exemple quand Marceau croise dans la nuit un inconnu aux intentions troubles, Clef-des-Cœurs, le champion de lutte qui sera l'origine de sa passion pour cette discipline. Ou tout au contraire, c'est la joie et l'ivresse qu'il transcrit, comme avec cette chevauchée à travers l'orage et la campagne, avec Marceau, Mon Cadet, une fille rousse très libérée et quelques autres encore, qui est le grand moment de béatitude du roman, tout autant que celui qui en donne le titre.